Chapitre 10: A l'église comme à l'église

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Nous passons les deux portes en bois grandes ouvertes, et entrons dans l'enceinte de l'église. L'air y est frais, mais il y a toujours cette étrange sensation qui flotte. Tantine ouvre la marche avec une prière silencieuse, puis part s'asseoir sur la première rangée de bancs en bois. Su-per... Aux côtés de ma jumelle, je trempe mes doigts dans l'eau bénite, et une étonnante chaleur s'y répand. Mais je n'y prête pas plus attention car ma soeur me fait signe de la rejoindre. Pour suivre le mouvement, nous nous asseyons aussi sur la première rangée. Je prends mon pendentif en croix entre mes mains et prie silencieusement. Je prie pour qu'on me pardonne, pour qu'on pardonne Anaïs. J'implore la pitié. Nous n'étions pas nous-même... Mais ça ne se reproduira pas.

Puis sans m'en rendre compte, je me retrouve seule dans l'église. Il n'y a plus personne sauf le prêtre qui bénit ses objets. Je n'ai pas vu le temps passer, mais vous savez ce qu'on dit: le temps passe vite quand on s'amuse...

Prise d'un élan de je-ne-sais-quoi, je me lève et m'avance poliment vers lui.

- Mon Père... ?

Le prêtre, habillé de sa tunique blanche, se retourne vers moi et m'adresse un sourire bienveillant. L'homme en question n'est pas si vieux mais n'est pas non plus très jeune, son crâne est un peu dégarni mais les rides ne le marquent pas trop.

- Oui, mon enfant ?

- Je... J'ai fait quelque chose de mal. Je ne sais pas quoi faire pour me faire pardonner.

- Fais ce que Dieu t'insuffle de faire, et Dieu te pardonnera.

Ça c'est de la réponse... Mais mine de rien, je le remercie et tourne les talons pour quitter l'église. Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? Demander plus d'explications ? Certes. Mais vous savez... les fidèles du Seigneur aiment se montrer aussi énigmatiques que le Seigneur lui-même. Car vous voyez—

- Gabriel ? m'étonnai-je.

Je dévisage le jeune homme assis sur un banc de l'église, les avant-bras appuyés sur les cuisses, et le regard perdu dans le vague des rayons lumineux projetés par les vitraux. Lorsque je l'interpelle, il plonge son regard bleu dans le mien, et un sourire encore plus bienveillant que celui du prêtre étire ses lèvres, tant est que cela soit possible.

- Bonjour, Angèle.

- Heu... oui, bonjour. Je ne m'attendais pas à te voir ici.

Je jette un coup d'oeil à la porte d'entrée grande ouverte, mais n'y vois pas ma famille. Je m'avance donc vers lui et viens m'assoir à ses côtés pour chuchoter:

- Merci beaucoup pour hier, vraiment, tu n'imagines pas à quel point je t'en dois une.

- Ne te tracasses pas avec ça, tu fais déjà suffisamment. Dis-moi plutôt... tu viens souvent dans cette église.

- Oui, ma famille est... très croyante, peut-être même un peu trop.

- Avoir la foi est une bonne chose, elle est même primordiale.

- Toi aussi tu es religieux ?

- Je l'ai toujours été, je trouve que c'est très important. Chacun a besoin d'être guidé vers un idéal.

- Tu ne t'appelles pas Gabriel pour rien... dis-je sans pouvoir retenir mon petit rire. Tu es un vrai messager de Dieu.

- En effet, répondit celui-ci en souriant, et la symbolique des prénoms a souvent raison de nous, Angèle.

- Jusque-là des ailes ne me poussent pas dans le dos.

- Peut-être car tu ne les vois pas.

- Angèle ?

La voix de ma soeur me fait sursauter, en fait c'est surtout le fait qu'on m'interpelle. Mais rapidement je me calme, la main sur mon coeur, et me retourne pour voir Victoire remonter l'allée de l'église. Et elle ne tarde pas à apercevoir le visage souriant de Gabriel. A ce moment, le rouge lui monte aux joues et elle lui rend son sourire... un peu bêtement, je dois l'avouer.

- Tu m'as foutu la trouille, Victoire.

Elle s'approche de nous et vient s'asseoir à côté de moi, mais n'a d'yeux que pour Gabriel.

- Nos parents te cherchaient, m'informa-t-elle.

- Tu es bien Victoire, la jumelle d'Angèle ?

- C'est bien ça, lui confirma-t-elle avec un sourire aux anges. Toi aussi tu as des frères ou des soeurs ?

- Seulement un frère, et il me cause suffisamment de soucis pour que je ne souhaite pas en avoir un deuxième.

- C'est dommage... Je pense que le lien fraternel est un des liens les plus beaux qui puisse exister. Avec Angèle, par exemple—

Je l'interromps en posant ma main sur son épaule:

- Désolée les tourtereaux mais je vais sortir, sinon c'est Tantine qui va rappliquer et si elle me voit avec Gabriel, ne le prend pas personnellement, je vais mal finir. Bon, je vous laisse. A bientôt, Gabriel.

- A bientôt, Angèle.

Il m'adresse un sourire que je lui rends, et je passe par-dessus ma soeur pour quitter la rangée puis l'église.

Une fois à l'extérieur, je prends une grande bouffée d'air frais. Maman, papa, et Tantine sont tous les trois à l'ombre d'un arbre en train de parler avec une nonne. Je m'approche discrètement d'eux, et lorsque Tantine me voit arriver, elle m'offre son plus beau sourire.

- Et voici notre petit Angèle.

La religieuse se tourne vers moi, et je suis étonnée par son jeune âge.

- Bonjour, ma soeur.

- Bonjour, me répondit-elle avec un sourire bienveillant.

Je m'appuie contre le tronc d'arbre, ne voulant pas plus participer à leur conversation.

Les minutes passent, mes parents et Tantine continuent de discuter du Seigneur avec la soeur, tandis que ma jumelle... eh bien ma foi, est toujours dans l'église. Mais me rendant rapidement compte que je ne sers à rien dans toute cette histoire, je m'approche poliment de maman pour lui chuchoter:

- Je vais à l'orphelinat.

- Très bien, ma chérie.

Sur ce, je m'éloigne de ce lieu de culte.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant