De l'Autre Côté

Chapitre 32 : Corps et âme

Nous grimpons les trois marches qui conduisent au luxueux casino dont l'entrée est solidement gardée par deux molosses vêtus de noir. Cliché, vous me direz, mais je vous avoue que ces types sont bien trop... clichés, pour être qualifiés autrement. Devant nous, Madame et Monsieur Richard montent dignement les marches recouvertes par un tapis rouge, la tête haute et le buste droit. Derrière eux, Lidia et Thomas tentent de « faire honneur tout en restant discrets », comme me l'a si bien recommandée la jeune femme. Quant à moi... disons que je ne m'encombre pas de ces formalités avec mes mains enfoncées dans les poches de mon jean et mon regard à l'affut du moindre indice pouvant m'aider à retrouver ma soeur.

Je gravis les marches, laissant dans mon dos l'éternel ciel orangé, pour m'engouffrer dans la lumière artificielle du casino.

Une musique d'ambiance tourne dans toute la pièce, se propageant malgré les éclats de voix des convives. L'épaisse moquette étouffe nos pas, et je dis « tant mieux » en voyant le nombre de talons fouler le sol avec énergie. En effet, l'élégance est à l'honneur ; satin et mousseline glissent sur la peau, tandis que les gestes anodins sont romancés. Les croupiers, aux noeuds papillon parfaitement bien serrés, gardent une expression de marbre pendant qu'ils guident les jeux d'une main de maître.

Nous remontons le long tapis rouge qui traverse les machines à sous et autres jeux d'argent. Personne ne nous regarde, personne ne jette un oeil à la famille Richard. Ils ont encore de la marge pour redorer leur nom... Je pense qu'ils devraient se mettre tout de suite au strip-tease, au moins ils sont sûrs d'attirer l'attention, que ce soit pour les bonnes ou les mauvaises raisons. Plus sérieusement, ce lieu est à mourir d'ennui... alors laissez-moi rêver d'un peu d'action, même si voir papi et mamie se trémousser à moitié nus ne m'enchante guère.

Lidia ralentit, délaissant zombi Thomas pour venir se placer à ma hauteur et marcher à mes côtés.

- Il y a une chose que je ne t'ai peut-être pas dit, chuchota-t-elle. Certains démons acquièrent des capacités, et je ne pense pas avoir à te le répéter, mais... nous sommes en Enfer, donc ne t'attends pas à ce qu'ils guérissent tes petits bobos ou qu'ils te plantent des pommiers. Alors tiens-toi éloignée d'eux.

- En fait, je ne peux approcher personne, c'est ça ?

- Exactement ! s'enthousiasma-t-elle avec un grand sourire. Je savais que tu allais finir par comprendre.

Je pousse un soupir désespéré, et Lidia continue :

- Le mal est partout, plus tu te tiendras éloignée de lui, plus supportable sera ta vie.

Madame Richard coule un regard aguicheur à un jeune homme qui ne prête même pas attention à elle, avant qu'elle n'arrête physiquement une femme du même âge qu'elle. Nous nous stoppons tous et l'observons se pencher à l'oreille de la femme, mettant en valeur son sourire sournois. C'est alors que je le remarque, que je remarque tout en fait, si bien que je me demande comment je n'ai pas pu le voir avant. À presque toutes les tables, des sachets de drogue en tout genre reposent sur les tapis de jeux, passant de main en main contre des billets ou se consommant en grande quantité. Des hommes et des femmes très peu vêtus défilent entrent les jeux, récupérant un billet par-ci et une caresse par-là. Ces personnes portent des plateaux sur lesquels repose une quantité excessive de nourriture et d'alcool. En fait, cet endroit ressemble à la ville Infernale mais semble plus contenu par des règles de bienséance, enfin... appelez ça comme vous voulez, car je vous l'accorde que jouer à des jeux d'argent, se droguer, se balader presque nu, manger à en vomir, ou boire à ne plus pouvoir se relever est loin de faire partie des règles communes de bienséance. Mais comparé aux scènes non censurées auxquelles on peut assister en pleine ville, ce qu'il se passe dans ce luxueux casino peut paraître bien pieux. Toutefois, si ma famille voyait ce lieu je pense bien qu'elle se dévisserait la tête.