Chapitre 29 : Convoitise

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Ce dîner se résume en un seul mot : opulence. Je suis sérieuse, je ne pensais pas que des personnes si suffisantes pouvaient exister. Bon, après tout vous me direz : on est en Enfer... Mais tout de même.

Digne des plus grands films austères, les maîtres de maison se tiennent chacun en bout de table ; table faisant plusieurs mètres de long, bien évidemment. Le silence est pesant, seulement interrompu par des bruits de mastications et de couverts en argent grattant sur les plats de céramique. Sur cette table de l'abus s'assemblent une longue nappe rouge, des verres et une carafe en cristal contenant du vin, un chandelier en or illuminant la pièce, des assiettes creuses remplies des pâtes au pesto, un plat de ratatouille, des coupelles de soupe aux champignons, ou encore des bouteilles de toutes sortes d'alcools.

Le fameux Thomas réside à côté de madame Richard, une vieille femme aux allures luxueuse mais à l'apparence âgée, tandis que Lidia se tient droite, à proximité de monsieur Richard. Quant à moi... je reste en retrait près d'un joli buffet en bois vernis, à contempler les nombreux tableaux disposés dans toute la salle à manger : des portraits, de la chasse, des chevaux, des chiens, des paysages de vacances, ou encore une peinture de la demeure.

Le couple Richard ayant enfin fini de se remplir la panse, Thomas et Lidia ramènent la vaisselle dans la cuisine, eux, n'ayant mangé qu'avec les yeux. Et c'est une fois que mes deux comparses sont hors de vue que monsieur Richard me sort de mes rêveries :

- Mademoiselle, venez.

Sans trop réfléchir je m'avance vers le vieux, sous le regard bien trop curieux et un peu noir de sa femme. L'homme relève ses yeux vers moi et prend sa serviette dans sa main avant de la tendre dans ma direction.

- Vous n'avez plus besoin de ça.

Sans m'y attendre, il arrache la croix de ma poitrine. Cette fois, je sors de ma somnolence pour de bon et m'exclame avec force :

- Non mais vous vous prenez pour qui ?!

Il ne me prête même pas attention, observant ma croix reposant dans sa serviette blanche. Remontée comme une pendule, j'approche brusquement ma main de cette serviette afin d'y récupérer mon bijou, mais il me saisit violemment le poignet pour m'en empêcher. Je fronce les sourcils et tourne la tête en direction de ce malade, toutefois ce que je lis dans son regard me glace le sang. En cet instant, il n'y a plus rien d'humain en lui, la noirceur l'a complètement englouti. Un frisson court sur mon échine tandis que ma bouche s'assèche. Je ne suis pas peureuse de nature, mais... je suis sensible à ce que renvoient les gens, et ce type... eh bien il mérite largement sa place en Enfer, car ce que projettent ses yeux ne sont pas des images de tendresse et d'amour inconditionnel, loin de là. Je finis par déglutir, avant d'essayer de reprendre ma main. Cependant, l'emprise autour de mon poignet se resserre, et les yeux qui me transpercent s'assombrissent de plus belle. Le vieux se lève brusquement, renversant sa chaise en velours rembourrée dans un fracas. Sans lâcher mon poignet, il m'attrape par le menton pour rapprocher son visage du mien. J'essaie immédiatement de me dégager de cette situation mais c'est chose impossible, ce papi a une force d'éléphant.

- Ecoute-moi bien, la nouvelle, gronda sa voix emplie de menaces. Tu n'as aucun droit ici, ni ailleurs, alors fais-toi petite et ne nous contredis pas. C'est clair ?

- Je ne suis pas à vous, répondis-je sèchement sous une pulsion d'adrénaline.

Sur ces mots, je suis brutalement jetée contre le buffet. Décidément... À l'impact, le contenu s'entrechoque, puis je glisse contre le meuble en essayer de me rattraper à ce dernier dans un vain espoir. Ma paume heurte quelque chose et une sensation désagréable me parcourt la main ainsi que le bras. Une fois les fesses par terre, j'observe ma main et réalise qu'elle est entaillée superficiellement, du sang y perlant légèrement. En regardant par-dessus mon épaule, je comprends que je me suis coupée sur les vieilles poignées métalliques dont certaines sont rendues tranchantes par le manque d'entretien. Je souffle misérablement sur ma plaie, mais relève la tête lorsque je sens deux iris me transpercer. Le vieux me regarde avec une fascination nouvelle, tandis que la curiosité et le mépris se battent dans le regard de la vieille femme qui s'est levée pour admirer le spectacle.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant