D'ordinaire, les enterrements ne me posent pas tant de problèmes, sauf aujourd'hui. Car aujourd'hui, ce n'est pas n'importe qui qui se retrouve enfermé dans une boîte en bois qu'on s'apprête à recouvrir de terre. Non, aujourd'hui nous enterrons Victoire Roy, ma jumelle, la personne la plus chère à mes yeux.
Toute l'église est baignée dans une atmosphère mortuaire où les sanglots s'élèvent. Mes parents s'enlacent à côté de moi, pleurant à nouveau la mort de leur enfant. Pour ma part, ce ne sont que de petites larmes discrètes qui m'échappent, car je le sais, j'en suis persuadée, Victoire n'est pas perdue. Donc je suis bien décidée à la ramener auprès de nous, quitte à remuer ciel et terre. Et je vous l'ai dit, si pour la ramener je dois m'en prendre à Satan lui-même, je le ferai. Depuis quand ce type se permet de telles atrocités ? Depuis toujours ? Eh bien, il est temps que quelqu'un lui remette les pendules à l'heure.
- Seigneur, s'éleva la voix solennelle du prêtre. Accompagne Victoire sur le chemin de la lumière. Guide-la de tes mots et montre lui la voie.
Le prêtre écarte les bras, comme s'il voulait embrasser foule.
- Victoire a été à vos côtés, elle a été une fille, une soeur, une nièce, et une amie. Maintenant, elle a retrouvé la place qui lui était prédestinée. Séchez vos larmes car Victoire est dans un lieu plein de chaleur et de bonheur, elle est aux côtés de Dieu. Puisse notre Seigneur veiller sur elle.
Le prêtre ouvre alors sa bible pour en lire plusieurs passages qui se veulent inspirants. Et ils le seraient s'ils parlaient de ma jumelle, mais... ils racontent seulement les aventures d'hommes dont on connaît tous le nom mais dont on ignore la vie. Dans ces passages, ces hommes trouvent toujours la lumière après avoir entendu la voix de Dieu, avoir reçu un message, où avoir vu un de ses Anges. Jusque-là, Victoire n'a rien entendu, reçu, ou vu de tel, mais je suis persuadée qu'elle n'a pas disparu dans le néant du monde, elle existe toujours, quelque part, et je la trouverai.
Le cercueil en bois vernis est transporté jusque dans un cimetière, suivi par un cortège de noir et de sanglots. Je marche à distance de ce dernier, n'ayant jamais été fan de ce genre d'escorte. Tout ce noir et ces pleurs, ça vous étouffe et ça vous oppresse, vous rappelant chaque seconde pourquoi vous êtes ici.
Le cercueil est délicatement enterré sous les prières du prêtre, accompagné par les lèvres mouvantes des membres de ma famille, enfin... une partie d'entre eux. Car nous ne vivons pas tous à côté, de ce fait, il n'y a que mes parents, Tantine, et quelques cousins et cousines éloignés.
Appuyée contre le tronc d'un arbre à quelques mètres des robes et des costumes noirs, ma croix semble peser lourd autour de mon cou. En réalité, mon propre corps me semble lourd, et entendre le prêtre remercier Victoire et prier le Seigneur m'alourdit de plus belle. Alors je craque, à l'écart de l'attroupement de chagrin. Les larmes roulent sur mes pommettes, puis caressent mes lèvres pincées, laissant un goût salé dans ma bouche. Je détourne le regard de la scène, à bout de ce coeur qui se comprime et de cette peine qui me noue la gorge. Je lâche même un juron, ce qui ne m'arrive que très rarement. Dans un soupir, j'essuie mes joues d'un revers de manche, mais je me fige lorsque des baskets et un jean noirs entrent dans mon champ de vision. Je sèche rapidement mes larmes avant de relever la tête vers le propriétaire de ces habits sombres. Cependant, lorsque j'aperçois ses jolies mèches rousses, sa peau de porcelaine contrastant avec sa tenue, et ses yeux d'un bleu profond, je ne peux m'empêcher de le dévisager.
- Excuse-moi, Gabriel.
Je reporte mon regard sur les dos voûtés et les épaules tremblantes, le visage crispé par les émotions que je tente de réprimer.
- Je suis navré pour ta soeur, je l'appréciais vraiment.
- Elle aussi, elle aurait voulu te revoir.
- Je n'en doute pas, mais tu ne dois pas t'en faire, elle est heureuse là où elle se trouve. Dieu veille, il faut garder la foi. Ne te détourne pas du chemin, et Dieu—
- Gabriel, s'il te plait, l'interrompis-je un peu sèchement.
Je pousse un lourd soupir en passant mes mains sur mes cheveux.
- Pardon, je... Je préférerais être seule.
- Il n'y a pas de soucis, mais n'hésite pas à m'appeler en cas de besoin.
- Merci.
Je tente un sourire, bien qu'un peu tendu, et Gabriel s'éloigne en direction de l'église. Je le suis du regard, mais lorsque je le reporte sur la foule en noir, j'aperçois Tantine me regarder tristement. Je baisse alors les yeux sur mes baskets, laissant les larmes revenir. Si Victoire savait que Gabriel est venu à son enterrement... je pense qu'elle aurait bondi dans tous les sens en criant de joie. Quand je la reverrai, je lui dirai.
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Le cimetière est maintenant complètement vide, le prêtre et ma famille sont repartis, mais je suis restée. Mes parents n'ont pas insisté pour que je rentre avec eux, et Tantine ne m'a pas fait de reproches pour Gabriel, toutefois je doute que cela ne tarde. Néanmoins, je reste là, à contempler la pierre tombale de ma jumelle.
Les larmes ont séché sur mes joues, le silence est lourd, et je me sens seule, affreusement seule. D'un côté tant mieux, car ce n'est ni le lieux ni le moment pour voir débarquer un inconnu, surtout de nuit.
- Je suis désolée, Vic... murmurai-je lourdement. Mais je te promets que je vais te sortir de là, peu importe comment.
Soudain, les graviers crissent. Mon coeur palpite et je me tourne vivement en direction du bruit. Une silhouette se dessine dans la lumière des lampadaires, mais elle est encore trop loin pour que je distingue autre chose que les mains dans ses poches. On se calme, Angèle, tout le monde a le droit de venir dans un cimetière, même si venir de nuit est étrange, vraiment très étrange, peut-être trop étrange. Je recule d'un pas, les sourcils froncés, et le coeur battant à mille à l'heure.
L'inconnu passe sous un rayon de lumière, dévoilant des cheveux foncés et une veste en cuir. C'est supposé me rassurer ? Bon après, ce type (car vu la démarche et la carrure j'opte plus pour un mec) serait venu en costume trois-pièces que je l'aurais trouvé tout aussi inquiétant.
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De l'Autre Côté
Paranormal« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...