Petit à petit, les Démons prennent place aux tables jouxtant les baies vitrées et nous nous retrouvons rapidement entourés. Démons ou pas, je n'aime pas me retrouver ainsi à la convergence de tous les regards. De plus j'aimerais bien me dire que les invités ne sont intéressés que par Alastor, mais je remarque leurs regards se poser sur moi et ma tenue comme si j'étais le vilain cafard de la soirée. Même les âmes en peine qui suivent ces Démons comme leur ombre me jettent des regards intrigués, voire jalousement envieux pour certains.
Et alors que je tente d'échapper à tous ces yeux inquisiteurs, une main aussi douce que la soie et manucurée d'un rouge carmin se pose avec une délicatesse exagérée sur mon avant-bras. Je remonte mon regard jusqu'à son propriétaire et croise les yeux clairs de Romane. Elle pouffe sans réel humour puis reprend sa main pour la ramener, avec distinction, autour de son verre vide. Une fois de plus, je remercie Eve pour son placement et ce siège vide qui me sépare de la jeune femme toute pimpante. Elle continue de me fixer puis passe ses longs cheveux d'ébène par-dessus son épaule avant qu'ils ne tombent en cascade jusque sur ses jambes. Son geste rendu sensuel par sa volonté attire le regard de beaucoup de Démons dans cette salle, si ce n'est pas tous. Bien qu'en réalité, la jeune femme capture leurs regards affamés depuis le début. Alastor aussi y a le droit, mais contrairement à sa comparse, il n'y prête aucune attention.
– Dis-moi... Angèle, c'est ça ? demanda-t-elle de sa voix cristalline.
Je ne réponds pas, pas sûre de vouloir engager des amicalités avec une personne comme elle. Je ne suis pas sûre de vouloir fricoter avec une fille aussi... sexuellement dérangeante. Néanmoins, elle ne prête pas attention à mon absence de réponse et continue comme si ce n'était pas le cas.
– J'ai entendu parlé de toi.
Romane se penche vers moi, par-dessus le siège vide, comme pour me faire une confidence d'amie à amie. Le seul problème : nous ne sommes pas amies. N'y voyez pas là une répulsion à la socialisation, mais il est difficile de s'entendre avec quelqu'un de drastiquement opposé à vous, et ce Démon en est l'incarnation même.
– Alastor nous a parlé de toi, chuchota-t-elle.
Nous ne sommes pas amies mais ça ne m'empêche pas d'écouter ce qu'elle a à me dire. Peut-être est-ce important, qui sait. Je deviens ridicule, vraiment...
– Mais oublie-le, trésor.
Son ton condescendant ne me plaît pas du tout, encore moins sa manière de se redresser pour me regarder de haut. Lilith, assise à côté de Romane et qui a suivi tout son petit manège se fend d'un sourire carnassier. Cette fois, je délie ma langue :
– Sachez, mesdames, que je suis venue ici pour fuir un certain problème qui me collait à la peau comme votre obsession pour Alastor colle à la vôtre. Et ce n'est certainement pas deux asticots dans votre genre qui vont me faire plier. Au mieux vous ne récolterez que l'exaspération et la pitié que j'ai pour vous, au pire vous obtiendrez mon silence las de vos bavardages.
Lilith boue de rage tandis que Romane pose théâtralement sa main sur sa poitrine, la bouche ouverte comme un poisson filtreur. À côté de moi, j'entends Alastor pouffer. Je me retourne vers lui, les sourcils froncés. Il s'empresse de couvrir son sourire de sa main en se retenant de rire.
– T'as de la chance qu'il y ait du monde, autrement je t'aurais étranglé à mains nues.
– Tu renfermes tant de violence que tu me ferais presque peur, ironisa le Diable.
Et alors que j'allais rétorquer, la voix fluette d'Eve retentit dans le micro, attirant l'attention de tous les convives. Lorsque mon regard se pose sur elle, je remarque qu'elle se tient sur une petite scène installée à côté de la porte d'entrée, un micro à la main.
– Avant que les choses sérieuses ne commencent, j'aimerais vous fournir quelques informations sur cette soirée organisée à l'improviste. Ça fait plusieurs années que quelque chose me pèse sur le coeur et je n'ai jamais entièrement pu l'extérioriser. Je ne suis pas la seule, je le sais. Toutefois, si cette soirée a enfin pu voir le jour c'est grâce à une seule et unique personne. Elle peut vous sembler sans grand intérêt, mais vous vous trompez. Je ne donnerai pas son nom pour la préserver, mais les personnes à qui sont adressées ces mots sauront de qui je parle. Donc merci beaucoup à toi, s'adressa-t-elle à tout le publique avec un grand sourire bien que je sache pertinemment que ces remerciements me sont destinés. Je finirai par dire que cette soirée est en ton honneur, Alastor.
À l'évocation de son nom, Alastor observe la fillette avec un air intrigué et attentif.
– Cette soirée n'était pas mon idée, mais je l'ai immédiatement approuvée et ai tout mis en oeuvre pour que ça te plaise. Tout ça car tu mérites le meilleur. Cette personne voulait sincèrement te remercier, et moi aussi, ajouta-t-elle d'une voix emplie d'émotions. C'est aussi l'occasion de te souhaiter un bon anniversaire, Alastor.
Sur ce, Eve s'incline face à son public et la musique « We will rock you » de Queen se lance. La fillette descend de la scène pour laisser place aux artistes qui s'accaparent l'enthousiasme des Démons. Les spots lumineux se dirigent sur les deux vedettes, éclairant enfin leur silhouette déjà très acclamée. C'est alors que mon souffle se coupe. À quelques mètres de nous se tiennent Freddie Mercury et Michael Jackson en chair et en os, du moins... si cette expression est valable en Enfer. Les Démons tapent aussitôt des mains au rythme de la musique et la voix de Freddie Mercury envahie la salle. Celle de Michael Jackson accompagne le publique qui s'empresse de chanter à leur tour. Même Eve qui s'est finalement assise à mes côtés se met à chanter en choeur avec les autres.
Lorsque les deux artistes enchaînent avec une version de « Beat it » en duo, des serveurs viennent nous apporter à manger. Ce n'est que lorsque l'un d'entre eux soulève la cloche devant Alastor, dévoilant un sublime tartare de légumes décoré d'une crêpe dentelle, qu'il reprend ses esprits. Son regard s'égare encore un instant sur la scène et notre tablée avant qu'il ne se fixe étrangement sur Eve et moi. La fillette éclate de rire devant sa tête et enfonce une bouchée du tartare dans sa bouche, puis déclare avec amusement :
– Tout ira bien, Alastor. Tu vas voir, au début c'est bizarre et après tu seras sur un petit nuage.
– C'est bien la première fois que je te vois sans voix, ajoutai-je.
– Je... bredouilla-t-il. Je ne sais pas quoi dire.
– Un simple merci suffit, se moqua gentiment Eve tout en continuant de manger.
Alastor plonge alors son regard profondément touché et empli d'admiration dans le mien, avant qu'un murmure lui échappe tel un soupir trop longtemps refoulé. Malheureusement, les chanteurs recouvrent toutes les conversations trop basses et je ne parviens pas à entendre ses mots. Néanmoins, je lis son « merci » sur ses lèvres, alors je lui offre mon plus beau sourire, heureuse que notre projet le touche à ce point. Pour tout vous dire, j'espérais qu'il lui fasse de l'effet mais je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'il en ait le souffle coupé.
Les Démons sur les autres tables sont tous fascinés par le concert tandis que les seuls qui observent Alastor sont Romane et Lilith. L'une avec son éternel regard promettant monts et merveilles, l'autre avec convoitise. Cette dernière s'amuse aussi à me jeter des coups d'oeil, mais préfère le faire avec cette jalousie maladive faisant vibrer ses pupilles. Malgré ces deux vipères qui me donnent froid dans le dos, je pose ma main sur la cuisse d'Alastor tout en goûtant ce succulent repas comme si de rien n'était. D'apparence, le Diable ne réagit pas, mais je sens sa main se glisser sur la mienne avant de l'enserrer pour s'y accrocher. Peut-être y sommes nous allés trop fort avec notre projet ?
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De l'Autre Côté
Paranormal« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...