Chapitre 14: Pas toi...

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Je marche sur le ponton en bois, entourée par de grands voiliers et de magnifiques bateaux à moteur. Après une journée épuisante à l'orphelinat, j'aime bien venir ici, écouter les mouettes chanter et les mats battre au gré du vent et des vagues. Ça peut ressembler à une scène de film où l'héroïne marche seule sur le ponton, les cheveux au vent, avançant vers un coucher de soleil tombant dans la mer. Et puis sorti de nulle part; ce mec super mystérieux court à sa suite pour lui déclarer sa flamme, avant qu'ils ne s'embrassent quelques secondes plus tard. Je regarde peut-être trop de films... Parce qu'en ce moment même, je peux vous assurer que la scène n'a rien à voir avec une production hollywoodienne. Le soleil, caché derrière un nuage, commence seulement à se coucher, et aucun type super mystérieux ne me poursuit pour m'embrasser. La seule similitude est ma solitude, donc si un type mystérieux doit se pointer sur ce ponton c'est surement pour me tuer avant de jeter mon corps à la mer, mon pied attaché à une grosse pierre afin que personne ne retrouve mon cadavre. Une perspective réjouissante, si je puis dire.

Je pousse un profond soupir, mais me fige lorsqu'un bruit de fracas surgit derrière moi. Faites que ma vie ressemble un peu plus à un film romantique qu'à un film d'horreur, je vous en prie... Pas de tueur psychopathe par pitié. Je me retourne brusquement, voulant avoir le plus de temps devant moi dans l'éventualité où l'on veuille me planter au couteau pour faire couler mon sang avant d'utiliser ce dernier pour invoquer Satan. Mais en découvrant la personne devant moi, j'aurais mille fois préféré qu'un tueur psychopathe me plante pour la gloire de Satan.

Derrière un rideau d'ébène, des yeux bleus s'accrochent désespérément aux miens. Mon sang pulse dans mes veines et mon coeur se comprime douloureusement, tandis que je dévisage cette personne. Tout mon corps est paralysé par la torpeur, et lorsque j'ouvre la bouche pour articuler un mot, aucun son ne parvient à s'échapper. Ses yeux n'expriment non pas de la peur, mais un grand effroi, avant que les larmes remontent et les fassent briller. Jamais je n'ai vu une telle expression sur le visage de ma jumelle, jamais je ne l'ai vu aussi terrifiée, jamais je ne l'ai vu aussi perdue, et jamais je ne pensais la voir dans de telles circonstances.

- Angèle ?

Sa voix tremblotante me brise le coeur, tandis qu'elle m'implore du regard, les joues maintenant couvertes de larmes.

- Angèle, j'ai peur... sanglota-t-elle. Je ne veux pas mourir. Pitié, aide-moi.

Je prends sur moi pour ne pas défaillir devant ma jumelle qui a tant besoin de moi, et ose quelques paroles:

- Tout se passera bien, Vic, je te le promets.

Je pince mes lèvres pour retenir mes propres larmes qui menacent de s'échapper. Ma soeur fait un pas chancelant vers moi, à deux doigts de s'effondrer en pleurs.

- Je ne veux pas mourir, j'ai encore tant de choses à faire. Et... je devais revoir Gabriel.

Un sanglot la coupe, et elle tente d'essuyer ses larmes, avant de replonger son regard terrorisé dans le mien.

- En plus... je ne veux pas te faire souffrir. Tu ne mérites pas ça !

- Ne t'en fais pas pour moi, la rassurai-je au mieux dans une telle situation. Mais promets-moi une chose: ne m'oublie pas.

-Toi, ne m'oublie pas !

- Jamais, jamais je ne le pourrais.

- J'ai tellement peur...

- Tu verras, tout ira mieux après. Et qui n'a pas rêvé de courir à poil dans les champs de blé ?

Malgré ses sanglots, ma jumelle lâche un petit rire qui me tord douloureusement le coeur.

- Ne m'abandonne pas, je t'en prie, me supplia-t-elle entre deux sanglots.

- Je ne t'abandonne pas. Je te promets de tout faire pour que tu reviennes à mes côtés, et pour que tu embrasses enfin ce Gabriel.

Cette fois, Victoire fond en larmes et se précipite dans mes bras. J'aurais aimé lui dire de ne pas le faire, mais c'est déjà trop tard. Je suis irrémédiablement aspirée par les souvenirs, laissant une larme dans le monde présent.

Je suis sur le chemin pour rentrer à la maison, le soleil commence à se coucher et les oiseaux virevoltent dans le ciel. Puis tout à coup, une voix résonne derrière moi et s'insinue dans mon âme, résonnant dans mon esprit.

- Ne bouge pas et ne parle pas.

Je suis soudainement paralysée de toute part, plus du tout maîtresse de mon corps.

- Rassure-toi, je ne suis pas aussi malpoli que tu peux le penser. Et pour moi, les présentations sont la moindre des choses. Enfin... moi je parle et toi tu m'écoutes, déclara la voix avant que son rire ne résonne horriblement dans ma tête. Les gens ont pour habitude de m'appeler Satan, et en fait, vous aussi. En tout cas, ravi de faire ta connaissance, ma jolie. Mais vois-tu... je ne sors pas souvent ici, alors quand je le fais, j'aime bien m'amuser un peu. Heureusement pour moi et dommage pour toi.

La voix se fait plus lente, plus trainante, plus rassurante.

- Tu vas te jeter devant le prochain camion qui passe, et je veux du spectacle.

La pression sur mon âme diminue, mais je ne contrôle plus rien du tout, je ne parviens même pas à évaluer ce qui m'entoure. Des gens qui parlent, des enfants qui rigolent, des voitures qui remontent la rue à toute vitesse, le souffle des véhicules qui caresse mes cheveux, des Klaxons, des exclamations, des cris, puis une atroce douleur. Elle me brûle de l'intérieur, brise tous mes os, étouffe ma respiration, irradie ma peau, et me comprime sur moi-même. Je n'ai même pas le temps de hurler, de pleurer, d'appeler à l'aide, que tout devient noir.

Je m'effondre sur le ponton en bois en poussant un hurlement déchirant. Tout mon corps me donne l'impression d'être brisé en mille morceaux, plus rien n'est à sa place, tout est douloureux. Puis petit à petit, la douleur se calme. Mais recroquevillée sur moi-même, mon corps se met à trembler de manière incontrôlable. Cette fois, je ne retiens plus mon chagrin et le laisse m'engloutir. Les larmes se déversent sur mes joues tandis que je sanglote misérablement. Tout ça n'est qu'un cauchemar, je vais bientôt me réveiller et découvrir que Victoire me secoue comme un prunier pour me forcer à ouvrir les yeux. Toutefois, j'ai beau attendre, la seule chose qui me secoue est la peine qui déchire mon coeur.

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Je ne sais pas combien de temps je suis restée à me lamenter sur le ponton avec pour seuls témoins les bateaux du port, mais lorsque je décide enfin de me lever il fait nuit. C'est donc avec un pas lourd que je rentre à la maison, sachant qu'il n'y a que nos parents qui m'y attendent, et que dorénavant il n'y aura plus qu'eux.

Lorsque j'ouvre la porte, leurs pleurs me parviennent et ma soirée repasse en boucle dans ma tête. Le visage apeuré de ma soeur, ses supplications, et... sa mort. Une mort à laquelle je ne comprends pas grand-chose, mais qui ne m'empêchera pas de tout faire pour tenir mes promesses. Je ne sais pas comment cette voix a dénué ma jumelle de toute volonté et comment elle l'a poussée au suicide, mais si ce type se faisant appeler Satan est bien le Satan... dans ce cas, qu'à cela ne tienne, j'irai lui botter les fesses en Enfer.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant