Chapitre 86 : Bon retour

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Mon amie relève sa tête de cocker triste vers moi, ses yeux rougis par les larmes rencontrent les miens. Aussitôt, elle se jette dans mes bras, enfouissant son visage dans mon cou pour fondre en larmes. Je l'enserre aussitôt en lui frottant affectueusement le dos.

– Qu'est-ce qui se passe ? lui demandai-je, inquiète.

Elle ne répond pas. À la place, elle se dégage de mon étreinte pour reprendre sa place sur le bar en me prenant par le poignet afin de m'asseoir à côté d'elle. Le barman lui jette un rapide coup d'œil compatissant avant de vider sa machine à café.

Toujours silencieuse, Anaïs engouffre un gros morceau de pancake sous mon regard interrogateur. Puis elle se lance finalement :

– J'étais super inquiète ! J'ai cru que tu ne me parlais plus à cause de moi, de ce que j'aurais pu dire. J'ai même cru qu'il t'était arrivé quelque chose ! Je sais que ta vie est un peu compliquée en ce moment et que... tu as des choses à régler, mais j'ai paniqué quand j'ai vu que tu ne me répondais plus après quelques jours. Et puis y'a Gabriel, il—

– Gabriel ? l'interrompis-je, incrédule et pas sûre d'aimer la suite.

– Oui, Gabriel. Il est venu me voir, plusieurs fois. Il n'arrêtait pas de me demander si je t'avais parlé récemment ou si on s'était vu. Le fait que je lui dise non avait l'air de le mettre en colère, enfin... plus qu'avant. J'avais peur qu'il te soit arrivé un truc ! Imagine si on t'avait enlevée ?

– Rassure-toi, personne ne m'a enlevée. J'étais... ailleurs, finis-je par dire après avoir jeté un coup d'oeil autour de nous pour être sûre que les oreilles indiscrètes ne traînaient pas trop par-là.

– Ailleurs ? répéta Anaïs dont les sourcils s'étaient soudainement froncés. Tu veux dire avec Alastor ?

– Oui, j'avais besoin de—

– Tu es retournée avec lui ? cracha-t-elle avec dégoût, toute trace de tristesse l'ayant quittée. Gabriel a donc eu raison. Je ne voulais pas le croire, bien que je n'apprécie pas Alastor, mais... je ne le pensais pas capable de telles choses.

– De quoi tu parles ?

– Quand Gabriel m'a demandé si je savais où tu étais il m'a dit soupçonner Alastor de t'avoir fait du mal.

– Alastor ne m'a rien fait ! la contredis-je, ébahie par sa crédulité. Comment peux-tu faire autant confiance à Gabriel ?

– Parce que moi aussi cette idée m'a traversé l'esprit ! répliqua Anaïs comme si ces mots lui avaient coûté cher. J'étais super inquiète et Alastor... n'est pas fréquentable et tu sais aussi bien que moi pourquoi. Gabriel m'a dit qu'il s'inquiétait aussi pour toi, et que... Alastor est recherché pour agression et meurtre.

Alors là, c'est le pompon. Dévisageant mon amie, j'ai du mal à me remettre de ses révélations. Comment Gabriel ose-t-il accuser son frère de telles choses ? Et comment ose-t-il impliquer Anaïs dans sa querelle familiale ? N'a-t-il aucune morale ?

Soudain, Anaïs prend mes mains et plonge son regard profond dans le mien. Puis de sa voix tout aussi grave, elle déclare :

– Je suis affreusement désolée de ne pas avoir été là et de ne pas t'avoir soutenue comme une amie devrait le faire.

– Anaïs... laisse-je traîner avec peine.

– Non, j'ai fait ou dit quelque chose qui t'a blessée, je le sais. Si j'avais été suffisamment là tu ne te serais jamais enfuie... là-bas, avec... lui. On trouvera un moyen de ramener ta sœur, je te le promets. Mais par pitié, arrête de faire appel à Alastor.

La vieille rengaine revenant, je retire mes mains de celles de mon amie comme si elles m'avaient brûlée.

– Je ne suis pas partie par ta faute mais celle de Gabriel. Il... Il n'est pas la personne que tu t'imagines, il n'est pas si bon et charitable qu'il semble l'être.

– Tu te trompes, je l'ai vu à son regard. Il s'inquiétait réellement de savoir où tu étais. Il m'a même demandé de le prévenir si tu te manifestais de nouveau.

Soudain, mon sang se glace. Evidemment... tout ça c'est de la faute de Gabriel. Il est en train de retourner tout le monde contre moi, comme il l'a fait pour son frère. Il a voulu isolé Alastor, et il a réussi. Maintenant, il veut m'isoler, moi, dans ses bras répugnants. C'est hors de question ! Mes proches peuvent bien me tourner le dos à la simple volonté de Gabriel, je ne plierai pas face à lui.

Avec sérieux et gravité, je capte le regard d'Anaïs.

– Je t'en supplie, ne lui dis pas que tu m'as vue.

– Gabriel s'inquiète sincèrement pour toi, et je pense que—

– Anaïs, l'interrompis-je. Ne lui dis pas. Je t'ai dit que je suis partie là-bas à cause de Gabriel, si j'ai fait ça c'était pour le fuir. Il est en train de me pourrir la vie. Alors s'il te plaît... ne lui dis pas que tu m'as vue. Fais ça pour moi, je t'en prie.

Mon amie m'offre un petit sourire puis avec son air navré et plusieurs secondes de réflexion, elle hoche timidement la tête.

– Merci, soufflai-je en lui souriant faiblement.

Ses yeux tombent alors tristement avant de se fixer sur ma main. En baissant mon regard je vois où se porte le sien : ma bague, enfin... celle d'Alastor. Je la couvre de mon autre main et relève la tête en disant simplement :

– Un cadeau.

Anaïs ne dit rien, elle sait. Elle désapprouve entièrement, mais elle se mure dans le silence. Nous ne parlons plus, n'osant plus noircir notre relation que nous tentons de conserver. Anaïs est une amie de longue date, pour rien au monde je ne souhaite la perdre. Alors le plus simple est d'éviter de parler de celui dont on ne doit pas prononcer le nom. Le problème : tout tourne autour de lui en ce moment. C'est triste, mais c'est la meilleure solution. Elle n'est pas prête à entendre qu'Alastor n'est pas si mauvais et je ne suis pas sûre de vouloir l'entendre me dire que Gabriel est bon. Alors on ne dit rien, préférant nous laisser bercer par la musique du bar.

Soudain, je sursaute lorsqu'on me tapote l'épaule. Je me retourne et vois un impressionnant vigile me faire face, une oreillette vissée contre son crâne poli.

– On vous demande dehors, m'annonça-t-il.

– Qui ça ? le questionnai-je, un frisson glacial me mordant l'échine à l'idée que Gabriel m'ait retrouvée grâce à mon amie ici présente.

– Son nom est Alastor si ma mémoire est bonne.

– Merci, dites-lui que j'arrive.

Le vigile hoche la tête avant de repartir. Je sens le regard lourd de reproches et de déception qu'Anaïs pose sur moi, et je décide de le croiser. Mieux vaut ne pas envenimer la situation... Je ne laisserai pas Gabriel me prendre mon amie, même si j'ai l'impression de nager à contre-courant depuis qu'il s'est introduit dans nos vies, physiquement.

N'adressant même pas une dernière parole à mon amie, je quitte le comptoir du bar et traverse la salle jusqu'à la sortie. Pourquoi donc Alastor ne peut-il pas entrer ? Il me semble que la dernière fois il s'était plutôt bien approprié le lieu. Oh non, mieux vaut ne pas y penser... Quel mauvais souvenir.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant