Chapitre 53 : C'est le pompom

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Au pas de la porte, mes parents rentrent de lourds sacs de courses, aidés par Gabriel, tout sourire. Il porte les sacs remplis de bouteilles avec facilité jusqu'à la cuisine et les dépose sur le comptoir. Mes parents apportent rapidement le reste, refermant la porte derrière eux. Une fois déchargés de leur fardeau, ils lèvent la tête vers l'escalier et m'aperçoivent enfin.

– Bonjour, ma chérie. Tu as passé une bonne journée ?

– Oui oui, je suis allée à l'orphelinat.

– Marlène a dû être ravie de te voir, me dit ma mère tout en rangeant les courses.

– En effet, elle m'a même accordé des jours de repos supplémentaires.

– J'ai toujours apprécié cette dame.

– Moi aussi.

Mon attention involontairement rivée sur Gabriel, je m'avance vers la cuisine. Qu'est-ce qu'il fait là ? Bien entendu, il aide mes parents à ranger les courses mais... vous aussi vous trouvez ça étrange, n'est-ce pas ? Dès notre rencontre il est toujours tombé pile au bon moment, et voilà qu'il se fait inviter à la maison.

Son regard croise le mien et un sourire remonte jusqu'à ses boucles d'un roux aussi clair que sa peau. Voyant que mes yeux ne se détournent pas de Gabriel, ma mère intervient avec engouement :

– Le Seigneur a mis Gabriel sur notre chemin lorsque nous sortions les courses du coffre, et il s'est galamment proposé pour nous aider. Mais vous vous connaissez déjà, n'est-ce pas ?

– Oui, répondis-je laconiquement.

Le Seigneur a mis Gabriel sur leur chemin, vraiment ? Pourtant, le Seigneur semble plutôt s'être imposé par lui-même. Avec le même entrain lumineux, Gabriel entame de vider son deuxième sac empli de bouteilles en tout genre : jus de fruit, eau plate, eau gazeuse, huile, lait, et même lessive. Un sacré gentleman...

Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ? Pourquoi lorsque le prénom d'Alastor est évoqué il m'horripile alors que Gabriel, par sa présence, provoque clairement un sentiment de malaise en moi. En qui dois-je avoir confiance ? Gabriel est Dieu, Dieu est bon et généreux. J'ai longtemps cru en lui, mes parents croient d'ailleurs toujours en lui bien qu'ils ignorent que le Seigneur en personne range actuellement le lait dans la portière du frigo. En le voyant agir ainsi, en voyant sa bienveillance, je ne peux l'imaginer auteur d'incivilités. Mais ce n'est pas la première fois que je me fais la remarque, vous le savez, Gabriel est... trop tout. Quand on se force à quelque chose, on a toujours tendance à en rajouter pour maquiller le fait qu'on ne le fait pas de bon coeur. Et pourtant... c'est Dieu. Je dis toujours que chaque légende a une part de vérité, et sa légende n'est qu'honorifique. On me dit de me méfier, de prendre du recul sur son comportement, et pourtant j'ai des moments de faiblesse dans lesquels je me sens attirée par sa présence, par son aura. Toutefois, à l'instant présent, je ne ressens qu'un fourmillement dérangeant et putride grouiller sous ma peau. Par réflexe, je porte ma main à mon cou mais ne rencontre aucun pendentif religieux. Il est dans ma chambre, au sol, et très probablement cassé.

C'est alors que l'image d'Alastor s'opposant à son frère apparait dans mon esprit. C'est vrai qu'il est le Diable, et que par conséquent de sacrées chaînes de vice lui agrippent les chevilles dans l'espoir de l'entraîner vers le fond. Mais il possède une qualité que je vois trop souvent comme un défaut : la transparence. Avec lui, je n'ai jamais ressenti ce sentiment en demi-teinte, il vit pleinement le moment présent. Bien entendu j'ai eu le droit à ses tours de passe-passe manipulateur, mais il a été sincère avec moi. Et sans m'en rendre compte, il m'a sauvé la vie, trois fois. Il m'a sortie d'une mauvaise passe avec une toxico — même si entre nous, le voir la tuer n'était pas dans mes plans—, il m'a permis de posséder la faculté de revenir parmi les vivants, et il m'y a renvoyé ici alors que tous les Démons pensaient que mon heure était venue, moi y compris. Alors oui, j'ignore encore pourquoi il souhaite se venger et Eve n'a pas voulu me le dire. Mais lui ai-je seulement demandé ? Lui ai-je simplement posé la question ? Non. Je ne vois que ma jumelle, je suis aveuglée par mon ambition de la retrouver et la ramener. Je n'ai pas voulu l'écouter, je n'ai pas voulu entendre ce qu'il avait à me dire, et pourtant...

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant