Si je vous dis: banquettes, bar, champagne, lumière tamisée, piscine, bar de piscine, fumée, eau de Cologne, robes chics, costumes raffinés, et pouvoir, vous pensez à quoi ? Un restaurant ? Un bar ? Un hôtel ? Un club échangiste ? Pourquoi pas, on n'est pas si loin. Sauf que vous oubliez la charité dans tout cela. Eh oui, nous sommes bien dans un gala de charité. En l'honneur de qui me demanderiez-vous ? Nous sommes en Enfer, arrêtez de me demander. Qui pourrait désirer tout en ayant déjà tout ce qu'il désire ? En effet, c'est bien cet odieux personnage qu'est le Diable.
Je vous avoue que lorsque nous sommes entrés dans ce luxueux hôtel situé sur le grand boulevard des péchés, je ne pensais pas que nous allions atterrir ici, mais je devrais arrêter de m'étonner vu le lieu, ou plutôt la dimension, dans laquelle je me trouve. Il y a une piscine ! Au beau milieu de la salle se trouve une piscine à ciel ouvert qui possède son propre bar. Mais quand je dis une piscine je ne parle pas des piscines en plastique que vous et moi achetons en été lorsqu'il fait 30°C à l'ombre, non, là je vous parle d'une vraie piscine creusée, dallée, et illuminée. Avec un bar, bien évidemment.
Tous les convives sociabilisent, un verre d'alcool dans une main et une cigarette dans l'autre. Enfin, tous... si nous excluons les quelques trop nombreux couples ou groupes qui sont avachis sur les banquettes à se peloter de manière peu catholique, et ça, aux yeux de tous. Malgré les regards lubriques de certains, ces personnes distinguées ne cessent pas leurs occupations pour autant.
Je n'ai qu'une chose à dire : à l'aide. Cet endroit est pire que l'ambiance des casinos. Certes ici il n'y a pas de jeux, mais l'atmosphère y est mille fois plus souillée. Être ici fait monter en moi une horrible sensation de mal-être combiné à une désagréable impression d'oppression.
Soudain, cette pression de l'être devient physique. Madame Richard, les ongles enfoncés dans mon bras, m'oblige à lui faire face pour qu'elle puisse cracher son venin sur moi :
– Pas un mot ou un geste de travers, c'est clair ?
Alors que je reste silencieuse, mon coeur se met à douloureusement se contracter, m'arrachant un petit gémissement plaintif.
– On en a bientôt fini avec toi, alors tiens-toi à carreau. Tu verras, ajouta-t-elle avec un sourire moqueur, tu regretteras de ne plus nous avoir comme Maîtres.
Puis elle me pousse vers l'avant et je manque de m'affaler sur son mari, la douleur disparaissant aussitôt. Madame Richard relève le menton, dispose ses cheveux sur une épaule, et aborde un immense sourire en halant un convive avec une joie trop soudaine. Thomas passe à côté de moi, non sans me fusiller du regard, et apporte un verre d'alcool ambré à la vieille femme qui lui sert de Maître. Puis Monsieur Richard m'attrape avec poigne par la nuque tout en m'adressant un grand sourire.
– Viens avec moi, et montre-moi que tu as une valeur autre que sanguine. Mais toi tu reste là, ajouta-t-il fermement à l'intention de Lidia.
Cette dernière m'adresse un triste sourire que je n'ai pas le temps de lui rendre, déjà entraînée à travers la foule par papi aux mains de fer. Je tente de me libérer, mais il appuie sur mon nerf à chacune de mes tentatives. Je décide donc d'attendre le moment opportun : celui où il baissera sa garde.
Le vieux « Maître » m'entraîne vers un canapé d'angle, un angle bien reculé de la salle. Cet angle que l'on observe tous du coin de l'oeil sans jamais s'y aventurer, eh bien nous y voilà. Il s'assoit sur le canapé et descend sa main jusqu'à mon poignet dans la tentative d'une caresse lascive, mais qui s'avère plus gênante qu'autre chose. Debout devant lui, je le regarde de haut et ne réponds pas à sa traction vers le canapé.
– Assieds-toi donc au lieu de faire la forte tête, dit-il avec amusement.
– Allez vous faire voir.
Ses ongles s'enfoncent dans ma peau, mes os roulent les uns contre, puis il m'attire brusquement à lui. Je grimace tout autant de douleur que de dégout, m'empressant de me libérer de ses bras. Toutefois, il saisit mon autre poignet et m'immobilise contre lui. J'essaie une nouvelle fois de me dégager, avant qu'un désagréable frisson remonte mon échine lorsque sa voix vient murmure à mon oreille :
– Profites un peu, c'est très probablement notre dernier soir ensemble...
– Grand bien m'en fasse, éructai-je.
– Oh ne soit pas si mauvaise avec moi, Marion. Et puis comprends-moi, tu es une jeune pousse de l'Enfer, comment ne pas en profiter ? Toutes les âmes en peine qui arpentent les rues ne seront jamais à la hauteur de ta rafraichissante compagnie.
– Je suis flattée, vraiment. Mais ne vous sentez pas— commençai-je avant de me faire interrompre par la morsure de Monsieur Richard.
Non mais sérieux ?! Il se prend pour qui ? Dracula ? Ma peau sous ses dents s'échauffe jusqu'à ce que je la sente se percer avant qu'il ne commence à l'aspirer. Je hurle de rage, ce qui me vaut plusieurs coups d'oeil assassins des convives en smoking, l'air de dire : « comment oses-tu perturber le gala, sale moustique ». En attendant, ce n'est pas moi le moustique. Et vous savez ce qu'on fait aux moustiques ? On les éclate.
Je me tortille contre Dracula en toc, puis lui assène un bout coup de genou bien placé. Mort ou vivant, vu sa grimace et son gémissement plaintif ça doit faire mal. J'en profite pour me dégager de son emprise qui s'est relâchée, et me précipite dans la foule qui ne fait même plus attention à moi si ce n'est pour me montrer clairement leur agacement à mon passage forcé. Je les ignore tous, fulminante de haine. Je n'ai pas prévu de tuer deux personnes ce soir, mais s'il faut que ça arrive qu'il en soit ainsi.
Je souffle bruyamment tout en regardant à droite à gauche pour m'assurer de ne pas être suivie par ce croûton périmé depuis belle lurette. Heureusement, les convives sont de plus en plus nombreux et le contact ne semble pas les déranger, bien au contraire. Si bien que c'est de plus en plus difficile de me faufiler dans cette masse. Qui laisserait passer la petite nouvelle désobéissante ?
Finalement, je vois la lumière au bout du tunnel, et elle n'est rien d'autre qu'un buffet. Mais pas n'importe quel buffet, n'oubliez pas où nous nous trouvons. Pyramide de champagne, fontaine de chocolat, pièces montées, fruits de mer disposés sur un bateau en bois, petits fours empilés à ne plus en finir, ou encore une immense sculpture en gelée de fruits, voilà de quoi est faite la partie du buffet qui s'offre à moi.
– Démons, démones, attira une puissante voix portée par le micro l'attention des convives. Merci de votre présence.
À cet instant, toute la foule se resserre pour avancer dans la direction opposée au buffet, me prenant complètement en étau. La personne continue de parler dans son micro, mais je ne l'écoute pas, tentant de m'extirper de ces sables mouvants humains, ou plutôt Démons. Puis soudain, quelqu'un soupire d'agacement, m'insulte, et me pousse violemment en avant. Je m'effondre au sol, mais me voilà enfin libre. Un sourire victorieux étire mes lèvres malgré moi, mais je me retourne tout de même pour fusiller la personne qui m'a malmené. Néanmoins, la seule chose que je vois sont des dos costumés, des dos nus, et des dos voûtés. Cependant, par-dessus les têtes, quelque chose dépasse par surélévation, et cette chose n'est autre qu'Alastor, micro en main. Et vous l'avez remarqué : je me suis souvenue de son prénom ! Il faut toujours retenir le nom de sa victime, c'est une question de respect.
Aidée de mes mains, je me relève afin de me tourner vers le banquet qui a été délaissé pour aller boire les paroles du Diable. Il a été délaissé par tous, sauf une personne de petite taille.
De petites bouclettes blondes retombent sur les épaules de la fillette lorsqu'elle tente d'attraper un chou de la pièce montée alors que son assiette en est déjà remplie. Je ne peux m'empêcher de la dévisager, mon coeur battant frénétiquement dans ma poitrine. La petite fille a surement dû sentir mon regard sur elle car elle tourne la tête vers moi, plongeant ses yeux bleus dans les miens. Puis son expression se trouble, et elle s'adresse à moi de sa petite voix enfantine :
– Angèle ?
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De l'Autre Côté
Paranormal« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...