Je ne sais pas combien de temps je suis restée ainsi, les larmes ruisselant sur mes jambes, mais je finis par entendre une porte s'ouvrir puis le parquet grincer avant que se soit au tour des escaliers de gémir. Les mots adressés au Seigneur bien-aimé filent au tempo des pas de ma mère. Ne voulant plus entendre parler de lui, je me bouche les oreilles et ma mâchoire se crispe d'elle-même. C'est seulement lorsque le tintement des assiettes perce la barrière que représentent mes mains, que je débouche mes oreilles pour constater avec soulagent que ma mère a cessé de réciter ses prières tout haut afin de s'adresser à mon père :
– Christian, je crois que l'orage a grillé le système électrique.
Les chaussons glissent devant la porte de la salle de bain avant que l'escalier ne couine et que mon père réponde :
– Peut-être est-ce juste le disjoncteur qui a sauté ?
– Je suis allée voir mais tout est en ordre. Nous devrions appeler un électricien.
– La panne doit être survenue dans tout le quartier, quelqu'un devrait donc déjà être en train de se charger du problème.
Plusieurs bruits de cuisine montent jusqu'à moi, cependant je reste encore quelques instants ainsi, adossée à la baignoire à sangloter. C'est seulement après plusieurs minutes, quand j'entends les assiettes cogner sur la table, que je me décide à me relever. Avoir été ainsi pendant si longtemps m'a endolori le dos, mais je ne lui accorde que le temps d'un étirement, mouillant déjà mon visage à l'aide de mes mains. Ma « douche » se résume d'ailleurs à quelques coups d'eau, ne me sentant pas suffisamment sereine et en sécurité pour me dénuder afin de prendre une vraie douche.
Avec discrétion, je retourne dans ma chambre pour troquer mon large pyjama contre un t-shirt rouge comportant un petit cactus sur la poche de poitrine, un simple jean noir, et un gros chandail bleu marine taché de vieilles traces de peintures inlavables, séquelles du moment artistique que nous avons partagé avec Victoire lors d'une fête de quartier. Je donne un coup de brosse à mes cheveux malmenés durant ces dernières heures et les laisse volontairement cacher mes yeux que je sens autant gonflés que rougis.
J'enjambe le gros livre au sol puis dépasse ma croix avant de quitter ma chambre pour descendre dans la salle à manger. En me voyant, mes parents me sourient.
– Tu te sens mieux, ma chérie ? me demanda ma mère avec entrain.
– Oui, répondis-je laconiquement avant de lourdement me laisser tomber sur une chaise.
– C'est merveilleux ! Gabriel nous a assurés que le Mal était en train de te quitter et qu'il ferait en sorte de t'en débarrasser définitivement. Ce garçon est vraiment formidable, tu ne trouves pas ?
La biscotte dont je m'étais emparée quelques secondes plutôt éclate entre mes doigts, ce qui fait sursauter ma mère. Elle me dévisage, une main sur le coeur, ou plutôt, sur la croix qu'elle porte autour du cou.
– Tout va bien, Angèle ? s'inquiéta mon père.
– Oui.
Je me frotte les mains au-dessus de la table, me débarrassant des miettes qui me collent aux paumes, et me verse un grand verre de jus d'orange que j'avale d'une traite, avant de me lever. Face à mon comportement, ma mère m'interroge :
– Il s'est passé quelque chose avec Gabriel ?
– Oui. Je le hais.
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De l'Autre Côté
Fantastique« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...