Chapitre 88 : Dans la bouche du Diable

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La limousine s'arrête dans une grande rue marchande que j'identifie immédiatement comme la rue de la ville voisine à la nôtre. En effet, ce n'est pas dans notre petite bourgade avec son centre historique fait de dalles en pierre et de bâtiments authentiques qu'on peut trouver de telles couleurs. Tous les balcons de la rue sont décorés par des dizaines de fleurs colorées, aucun barreau métallique n'est laissé vide. Les lampadaires sont aussi décorés que les balcons et le sol est couvert de dessins multicolores qui semblent être faits à la craie. On retrouve quelques beaux restaurants dont la terrasse déborde sur la route colorée ainsi que de nombreux magasins en tout genre. Un groupe de musiciens se produit pour un restaurant, la voix de la chanteuse d'opéra se répandant dans toute l'avenue avec force et beauté.

Tous les regards sont braqués sur nous, mais Ruben les ignore et sort de la voiture pour venir ouvrir ma portière. Je ne peux m'empêcher de rire bêtement en voyant la main qu'il me tend. Je l'accepte et il me sourit, tandis qu'Alastor fait le tour de la voiture pour venir se placer à mes côtés.

– Amusez-vous bien.

Ruben m'envoie un clin d'œil puis retourne s'asseoir derrière le volant avant de démarrer et remonter la rue. Les  nombreux passants nous observent comme si on allait faire un numéro de cirque et Alastor glousse à côté de moi.

– Pourquoi tu n'arrêtes pas de rire ? On dirait un vrai psychopathe.

– L'idée d'imaginer mon frère courir dans toute la ville me fait rire.

– Comment ne sait-il pas où nous sommes ? Il n'est pas supposé... tout savoir ?

Alastor me regarde du coin de d'œil et un sourire mystérieux creuse ses joues.

– Ne suis-je pas un odieux personnage qui dévore les âmes ?

Je l'observe un instant, interdite, et il explose de rire.

– Aller, viens. Je suis sûr que tu as faim.

Sur ce, il pose sa main dans le bas de mon dos et me guide vers le restaurant pour lequel le groupe se produit. La musique glisse jusqu'à nos oreilles tandis que la senteur florale s'insinue dans mon nez.

~~~~†~~~~

Nous sortons du restaurant après avoir englouti des pancakes au sirop d'érable et un double smoothie vanille-fraise.

– Il faut que je te fasse découvrir cet endroit ! s'enthousiasme Alastor en m'entraînant par la main. En fait, c'est Eve qui me l'a fait connaître. Quand je suis entré, j'ai cru qu'elle m'avait emmené dans une secte satanique.

– Elle voulait sûrement te faire plaisir, répliquai-je en rigolant. Qui sait, les offrandes à base de sacrifice de chèvres et de vierges sont peut-être ton point faible. Moi, je ne comprends pas pourquoi ça ne t'attire pas... Après tout, c'est qu'un peu de sang.

– Et elle dit que c'est moi le psychopathe.

Je rigole de nouveau et nous finissons par arriver devant la fameuse boutique. La devanture apporte immédiatement une explication à notre discussion. Nous nous apprêtons à entrer dans la bouche d'un Diable tout rouge, cornu et possédant de grandes dents. Je m'arrête un instant devant ce portrait d'Alastor, puis observe ce dernier de haut en bas avant de déclarer :

– C'est plutôt ressemblant.

Un sourire en coin fend ses lèvres puis celles-ci viennent se presser contre ma tempe. Un tas d'émotions, autre que l'euphorie provoquée par nos rires, se ravivent en moi. Je crois que l'euphorie ne m'a jamais réussi... Toutefois, je réponds à Alastor avec un sourire et entre dans la gueule du loup, ou plutôt du Diable. Enfin... celui tout rouge et cornu, qu'on se comprenne bien.

Tout est noir après avoir passé la porte, le chemin est seulement indiqué par un marquage lumineux au sol. Alors je le suis. Soudain, des mains se posent lourdement sur mes épaules et je sursaute. Le rire d'Alastor me rassure immédiatement sur l'identité d'un potentiel agresseur. Il se rapproche de moi jusqu'à ce que je sente son souffle soulever les quelques cheveux rebelles qui n'ont pas voulu faire partie de ma tresse. Les démangeaisons qui courent ma peau n'ont plus rien à voir avec mon euphorie, je peux vous l'assurer.

– On ne m'attend même pas pour le rite satanique, se plaignit-il sans vraiment y croire. À moins que tu ne sois trop pressée de t'offrir en sacrifice à moi.

Je bafouille quelque chose pour toute réponse, ce qui me vaut un rire cristallin de la part d'Alastor.

– Viens vite, Sainte Nitouche, il ne faudrait pas rater ça.

Il me reprend par la main et me fait traverser tout le couloir plongé dans l'obscurité. Nous finissions par arriver devant des chaînes qui pendent du plafond pour faire office de séparation entre le couloir et la pièce. Cette pièce en question est entièrement rouge et seulement composée de bancs vides.

– Où est-ce que tu m'emmènes, Alastor ? demandai-je, méfiante.

Il se tourne alors vers moi et un claquement retentit dans mon dos. Je sursaute et me retourne avant de constater que des portes se sont fermées par là où nous sommes entrés. Légèrement inquiète — pour ne pas dire complètement paniquée — je fais face à Alastor qui s'approche de moi, un mystérieux sourire aux lèvres. Il saisit mon visage en coupe avant de poser son front contre le mien et de murmurer :

– Si je te le disais il faudrait que je te tue.

Sur ce, la pièce plonge dans le noir et se met à trembler en même temps qu'un rugissement retentit. J'attrape aussitôt le t-shirt d'Alastor et cache ma tête contre sa poitrine. Je vais mourir, c'est certain. Pitié, aidez-moi. Avec légèreté, des bras m'entourent avant que la pièce ne tremble de nouveau. Je me retiens de hurler comme un putois et d'incendier mon compagnon de route pour m'avoir emmenée dans un endroit pareil.

Un souffle retentit et une chaleur inonde la pièce avant qu'une voix grave ne s'élève : « Bienvenu en Enfer. Accrochez-vous, vous risquez d'adorer ce que vous allez voir. » La voix se met à rire de façon machiavélique tandis qu'une porte semble s'ouvrir. Lentement, je relève la tête et croise le regard d'Alastor qui m'observe avec une pointe d'amusement.

– Je te l'ai pourtant dit : tout va bien se passer.

Je me recule tout aussi lentement de son torse et découvre ce que cachent ces portes à présent ouvertes. Sérieusement ? Ce lieu est aussi perché que le type qui m'y a emmené. Bien entendu l'Enfer est un condensé de choses abasourdissantes, mais ça... c'est vraiment pas mal non plus dans son genre.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant