Chapitre 33 : Désir ardent

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J'arpente le long tapis rouge se frayant un chemin à travers les machines à sous et les tables de jeux. Les lumières sont tamisées, contrastant avec les joueurs rayonnant tous par leur beauté : costume trois pièces, robe en satin, bijoux en diamant, et montres en cuir hors de prix. Enfin... ce sont eux qu'on voit ; ceux que Lidia prénomme si bien «les Démons supérieurs », ceux qui ont réussi à ne pas se faire manger. Mais... derrière, tels des zombies, des âmes en peine les suivent, répondant à chacun de leur caprice. Et me voilà... à piétiner ce tapis rouge avec un fichu billet de vingt dans la main en ne sachant quoi faire avec. Je souffle bruyamment, tandis que la musique ambiante de jazz s'engouffre dans mes oreilles et que la lumière tamisée éboulit mes rétines. Soudain, une main attrape mon bras et me retourne avec vivacité. Un nouveau soupir agacé m'échappe, mais mes épaules s'affaissent en voyant ces cheveux ondulés noir de jais encadrer ce visage hâlé. Les iris verts de Lidia me transpercent et elle me demande énergiquement :

- Qu'est-ce que tu fais ? Tu comptes partir ? Tu sais que tu n'as aucune chance ?

- Je ne sais pas ce que je fais, je ne sais même pas ce que je dois faire avec ça, dis-je en mettant le billet sous son nez. Et puis de toute manière je ne suis pas son chien.

Brusquement, Lidia saisit mon deuxième bras et me recule à la bordure du tapis, près d'une machine à sous, avant de plonger son regard grave dans le mien.

- Arrête tes bêtises, Angèle. C'est pas le Paradis ici, alors désolée de te le dire aussi brusquement, mais... tu la fermes et tu fais ce qu'on te dit.

- Que je fasse ce qu'on me dit ? répétai-je, ahurie, avant de rire jaune. Je ne vais quand même pas lui cirer les chaussures au vieux schnock ?

- Angèle ! s'écria la jeune femme.

Des regards lourds de reproches s'abattent sur nous. Sérieux ? Elever la voix les dérange ? Eh bien qu'ils aillent se faire voir, parce que moi ce qui me dérange c'est eux. C'est cette atmosphère entièrement souillée qui flotte dans l'air, ces méchancetés en tous genres qui lient les gens, et cet ardent désire de pouvoir qui fait pathétiquement vibrer tous les Démons. Tout ça c'est... exaspérant !

Je me dégage brusquement de l'emprise de Lidia et m'engouffre entre les machines à sous occupées par des Démons supérieurs et leurs zombies. Lidia ne crie pas mon nom, mais sa poigne de fer se referme à nouveau sur mon bras, et cette fois, elle me tire violemment vers elle. Je manque de perdre l'équilibre et la fusiller aussitôt du regard.

- Ecoute... commença-t-elle. Je ne veux pas être en mauvais termes avec toi. Si je fais ça... c'est pour rendre ton éternelle existence un peu plus supportable. Ça fait bien trop longtemps que je sers Monsieur Richard, je sais ce que tu ressens : l'injustice, la frustration, l'envie de partir, la haine, mais... toutes ces émotions ne te servent à rien, tu es piégée ici et à jamais. Donc je vais venir avec toi, et on va aller lui acheter quelque chose. La famille Richard doit retrouver sa gloire, et cela commence par ne pas se faire humilier une fois de plus par Gaspard. Alors suis-moi.

Sans me lâcher, elle m'entraine à travers les machines et les tables de jeux bondées par le luxe.

Cette fois, je ne la contredis pas et coopère. Après tout elle a raison, moi non plus je ne veux pas que nous soyons en mauvais termes toutes les deux, elle semble être la seule personne encore un peu censée de ce monde. Et puis... je suis ici pour trouver ma jumelle. J'ai réussi à atterrir en Enfer, je l'ai voulu, alors maintenant je dois tout faire pour trouver ma jumelle. Peut-être est-elle tout simplement parmi ces zombies. Peut-être même a-t-elle réussi à se faire une place. Je scrute les joueurs avec attention, mais je ne vois rien qui corresponde aux cheveux d'ébène et aux yeux bleus de Victoire. Par ailleurs, tout ce que je vois me répugne. Les Démons supérieurs s'échangent des sachets de drogue et en consomment juste après, sans aucune interdiction de la part du croupier. Encore, s'il n'y avait que ça... Des personnes absolument sublimes déambulent de façon aguicheuse, envoyant un mot doux par-ci et une caresse par-là, sans aucune gêne. Beaucoup de leurs victimes se retournent sur leur passage ou répondent de la même manière. Les gestes sont élégants et raffinés, pourtant... je trouve ça répugnant. Ne m'en voulez pas, mais vous diriez la même chose. Devant moi, une femme et un homme vêtus de manière bien trop osée pour un casino prennent une femme pour cible. Celle-ci est en train de jouer au blackjack lorsque les deux êtres arrivent derrière elle pour commencer à embrasser son cou. La femme glousse et leur offre un peu plus sa peau tout en continuant de jouer. Un homme en face d'elle regarde la scène avec une excitation non dissimulée, et la victime se penche alors en arrière, vers les deux vampires qui s'empressent de se jeter sur sa poitrine pour la dévorer. L'homme se fend d'un sourire ignoble tout en continuant d'observer le « spectacle ». La jeune femme sublime mais vampirique glisse sa main sur la cuisse de sa victime, là où son luxueux sac à main repose. Miss Beauté Vampirique sort un portefeuille de marque du sac, tandis que la joueuse glousse toujours aussi bêtement devant son adversaire totalement absorbé. Miss Beauté Vampirique donne le portefeuille à son collègue tout aussi magnifique, et comme si de rien n'était, tous les deux s'éloignent, laissant leur victime toute chamboulée.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant