Dusack ouvrit brusquement les yeux. Une douleur aiguë lui martela le crâne. Il tint sa tête entre ses mains un instant pour essayer d'évacuer son souvenir douloureux, exagéra une expiration, puis replia ses genoux contre sa poitrine. Il resta figé un long moment, absent, coupé de ce qui l'entourait. Deux grosses larmes roulèrent sur ses joues. Des bribes d'images plus ou moins claires continuaient de lui revenir devant les yeux sans discontinuer, réminiscences d'un passé trop proche. Mais le froid qui commençait à l'engourdir le sortit de sa torpeur. Il soupira pour se calmer puis regarda autour de lui avec peine, en défiant l'obscurité environnante.
Partout, des particules colorées dansaient autour de stalagmites givrées. Une légère brume bleutée émanait du sol rocailleux et s'y mouvait paresseusement. Des champignons luisants figés par le froid et des fougères disproportionnées recouvraient les parois rocheuses. Plus loin, une cascade de plusieurs mètres de haut déferlait par un trou au plafond. Le petit lac aux reflets d'émeraude qu'elle alimentait se couvrait d'une fine gaze de vapeurs. À la surface de l'eau, des poissons grotesques aux arêtes apparentes par endroits nageaient si lentement que l'on peinait à savoir s'ils étaient vraiment vivants.
Mais l'homme ne s'extasia guère devant ce spectacle gelé pourtant envoûtant. Les cavernes de Selm, creusées à même les cryovolcans de Fracture, offraient avant tout un terrain de jeu idéal pour les aventuriers en quête de nouveaux défis. D'étranges créatures y rôdaient : chauves-souris aux ailes dentelées, araignées velues aux pattes interminables, loups décharnés hargneux, ou même humanoïdes surnaturels faits de pierres, d'argile et de glace, disait-on. Des rumeurs issues de l'imaginaire de quelques couards, qui tendaient à enrichir le folklore selmien plutôt que recenser la véritable faune locale. Peu de gens osaient tout de même affronter ces grottes ; leur présumée dangerosité était ancrée dans la croyance populaire.
Mais il en fallait plus que ça pour dissuader Dusack de s'y risquer. Il venait de toute façon ici pour tout autre chose.
Il se leva, chancela, puis s'adossa à une paroi glacée. D'un mouvement mal assuré, il réajusta ses brassards rivetés. Il portait une brigandine de cuir par-dessus une chemise de lin ocre. Un pantalon en coton noir et des bottes marron à quatre boucles terminaient cette classique tenue de combattant de l'ouest de la péninsule. Dépourvu de couvre-chef, il avait de courts cheveux bruns, ornés de flocons de glace épars. Son visage carré, sillonné de quelques cicatrices, semblait prématurément marqué par les années. Ses yeux de jais passèrent à nouveau la salle en revue alors qu'il faisait des drôles de mouvements avec sa lourde mâchoire, comme s'il voulait la réveiller. À nouveau stable, il avança d'une démarche saccadée, en semant derrière lui des petits cristaux transparents qui flottaient mollement dans l'air froid. Grand et large d'épaules pour un humain, sa silhouette dégageait une aura tout à fait particulière, capable de donner le frisson à l'homme le plus courageux. Elle contrastait avec son visage toujours crispé par les souvenirs qui continuaient de l'assaillir. Son épée, qu'il portait au côté, ballottait de droite et de gauche au rythme de chacun de ses pas, lourds et lents.
Il s'approcha du fond de la grotte et tomba soudain à genoux devant ce qui s'apparentait à une tombe grossière : une pierre taillée peu ou prou en forme de rectangle à taille humaine, surmontée d'une structure en bois vacillante faisant office de toit. Une tombe typique aédelfienne. Sur la pierre elle-même, des fleurs fanées enveloppées par le givre se mêlaient à divers bols en bois contenant quelques poignées de céréales. De la paille et des ronces mortes entouraient cette sépulture improvisée, bien trop rudimentaire pour être l'œuvre des aédelfiens eux-mêmes. Du revers de la main, il enleva le surplus de glace qui recouvrait l'extrémité de la pierre : "RANKS" y était gravé en lettres capitales. Il déglutit bruyamment à la vue de ce nom et dût se concentrer pour ne pas se faire à nouveau submerger par ses sombres pensées.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantastik« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...