Aredhel, début de Renaissance, an 127. Aube.
Une bourrasque glacée souffla sur les champs en labours et les prés déserts qui entouraient la ville. Des tourbillons de poussière de glace s'élevaient par endroits et conféraient aux plaines alentours un air de magie. Une nuée d'aigrettes de pissenlits hivernaux (1) dansa au hasard d'une nouvelle rafale, puis s'échoua dans une petite rivière qui se traînait, nonchalante, entre les pâturages. Déchéance (2), bien que sur le déclin, continuait de résister à la charge de Renaissance et ponctuait l'aube de ses gelées éphémères et vents cinglants. Dans le lointain, une silhouette chétive flânait sur un chemin accidenté, en poussant une charrette à bras, et semblait se diriger vers la cité.
Un écureuil dodu, au pelage de jais et à la queue touffue qui formait un impressionnant plumeau, bondit soudain sur une large branche d'un des rares châtaigniers encore debout non loin du faubourg d'Aredhel. Il entreprit maladroitement de percer la précieuse noisette gelée qu'il tenait entre ses pattes. Après de nombreux essais infructueux, l'animal glapit avec fureur puis agita ses bras en de rapides mouvements verticaux. Il semblait quémander une aide extérieure ou une intervention divine. Tout ce qu'il obtint en réponse fut une salve de vibrations qui secoua ses longues pattes arrière. Il se raidit, lâcha un grognement étouffé, puis baissa la tête et découvrit un homme joufflu, à la barbe florissante, au pied de son arbre. Le bûcheron, qui n'avait guère remarqué la présence de l'animal, se figea un instant, circonspect face à son outil qui venait de rester planté dans le tronc du châtaignier. Il attrapa sa hache à deux mains, posa fermement son pied droit contre l'arbre, puis tenta de toutes ses forces d'extirper la lame bloquée. Ses gants troués de toute part glissèrent le long du manche, si bien qu'il tomba à la renverse. L'écureuil ne manqua pas de réagir : très amusé par la situation et ayant oublié la frustration de sa noisette récalcitrante, il agita de nouveau ses pattes et poussa des cris de satisfaction. L'homme, essoufflé, se releva avec peine, puis leva les yeux vers son spectateur du jour.
— Hors de ma vue, Dräk ! lança-t-il d'une voix ronflante. Je n'ai pas le temps de jouer !
Loin de se rendre compte qu'il était en train de détruire l'une des cachettes du petit animal, il essuya à la hâte la poussière sur ses guenilles puis essaya à nouveau de dégager sa cognée. Dräk, qui semblait avoir compris que l'inévitable allait se produire, jeta un dernier regard empreint de regrets à son nid, situé à la fourche de deux hautes ramures. Très agile malgré son évident surpoids, il sautilla ensuite de branche en branche, puis à même le sol, et détala vers les maisons les plus proches.
Le faubourg d'Aredhel, un amas de bicoques, auberges et écuries collées entre elles sans grande logique, qui venaient border le mur d'enceinte de la ville, était déjà bien animé en ce petit matin. Vieillards, mendiants, orphelins, simples pauvres ou autres rebuts de la société s'y entassaient, générant un brouhaha ahurissant. Les miséreux quémandaient inlassablement la charité, les femmes hurlaient sur leur mari déjà imbibé d'alcool, les enfants s'égosillaient en poursuivant des poules apeurées et quelques margoulins essayaient d'attirer le chaland vers leur chariot débordant de camelote.
Aucun recoin du faubourg ne semblait épargné par le bruit assourdissant qui y régnait. Dans les tavernes, des hommes complètement ivres malgré l'heure matinale braillaient des histoires incompréhensibles et sifflaient sans discontinuer des chopines débordant d'une bière suspecte, qu'ils ne pouvaient pas payer. Les gueux se massaient dans les granges en ruine et usaient de prétextes plus fantaisistes les uns que les autres pour conserver ce logis de fortune lorsque les propriétaires des lieux cherchaient à les mettre dehors. Des chiens errants pouilleux, bâtards pour la plupart, véritable fléau du faubourg, se baladaient en meute et menaçaient sans cesse animaux comme habitants. Les gamins, tout autant bâtards, tentaient parfois de leur jeter des pierres pour les éloigner, mais ils ne faisaient qu'attiser leur férocité. Des cadavres démembrés, souvent d'enfants imprudents, gisaient dans les ruelles les plus sombres sans que personne ne s'en émeuve.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasía« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...