Nellea obtempéra et s'assit à sa gauche. Ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité mais il y avait tout juste assez de lumière pour lui permettre de discerner les murs et les quelques meubles de la pièce. À l'évidence, la maison était abandonnée depuis des années. Seuls quelques gueux devaient l'occuper la nuit pour être protégés contre les chiens errants ou la rigueur du froid.
Bientôt la porte d'entrée s'ouvrit dans un grand fracas. Deux nouvelles ombres pénétrèrent dans la masure à leur tour, celle d'une jeune femme et celle d'une enfant. Avec leurs capes sombres et leurs capuches rabattues, on aurait pu croire que les adorateurs d'un dieu inconnu étaient en train de se réunir pour préparer quelque sacrifice rituel destiné à calmer les cieux.
On aurait certainement pu le croire. Mais peut-être la réalité était-elle pire encore.
— Oracles, bienvenue à vous ! s'exclama l'aédelfienne en ouvrant les bras. C'est un grand honneur de vous revoir ici !
Les arrivantes ôtèrent leur capuche. Les visages de Circé et Caprice apparurent à demi dans la pénombre.
— Garde tes politesses de pacotille pour toi, répondit sèchement la jeune femme. Le temps presse.
— Politesses, répéta Caprice. Hypocrisies misérables qui ne font que mettre en évidence les rapports de pouvoir.
Toutes levèrent les sourcils de concert, même Circé, qui aurait sûrement préféré que sa partenaire se garde de tout commentaire. Caprice ne parlait pas beaucoup, mais le charisme qu'elle dégageait et son franc-parler lors de ses rares interventions ne laissaient pas indifférents. L'aédelfienne eut une moue invisible, puis un sourire contraint.
— Contente de vous revoir aussi, jeune Caprice ! Prenez place, je vous prie.
Un sourire enfantin se dessina sur les lèvres de la petite fille tandis que la porte claquait dans son dos. Circé, bien moins enjouée que son égale, ignora l'invitation et croisa les bras. Aussitôt, elle attaqua la conversation sans ménagement ni manière :
— N'y allons pas par quatre chemins : qui sera sacrifié ?
À ces mots, la silhouette assise eut d'abord une hésitation, puis elle se servit une rasade de vin rouge, plus pour se donner une contenance que par réelle envie. À ses côtés, Nellea était comme vissée sur sa chaise, immobile et sans voix. Enfin, elle rencontrait ces Oracles dont elle avait mainte fois entendu parler.
— Concise et directe. J'aime ça chez une femme.
D'un geste, elle invita une nouvelle fois ses visiteuses à s'asseoir, mais elles n'en firent rien. Circé s'approcha simplement de la table tout en fouillant sous sa cape.
— Jaderyn, c'est bien ça ? reprit-elle, impatiente. Ecoute-moi. Nous n'avons pas de temps à perdre avec tes simagrées. Qui sera sacrifié ?
Elle tira enfin Ombra de sous sa cape et la posa sur la table brinquebalante dans un geste sec, mais garda la main dessus, comme si elle était trop précieuse pour en perdre la prise un instant. La perle vibrait sous ses doigts avec un bruit de guêpe. Peu à peu, ses rayons se mirent à tisser une robe de lumière noire tout autour de son avant-bras.
— Sacrifice, intervint Caprice en tournant sur elle-même. Paroxysme de l'adoration divine aédelfienne, attendu par Aurora et Ombra depuis si longtemps.
Il y eut un moment de flottement où Circé et les deux aédelfiennes s'observèrent en silence, pendant que Caprice exécutait quelques pas dansés qu'elle ne maîtrisait qu'à moitié.
— Je préfère parler d'hôte plutôt que de sacrifice, répondit enfin la dénommée Jaderyn en tirant sur sa pipe. Aïsena ici présente endossera ce rôle avec une grande fierté. N'est-ce pas, mon petit joyau ?
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...