Zalma voulut le retenir, mais il n'était plus temps.
Pixx se rua sur la bête. Une aura de rage flottait tout autour de lui. Il lui asséna un coup si formidable sur la patte que la lame entailla la peau et le muscle avant de riper sur l'os. Un flot vermeil jaillit par la blessure béante alors qu'un feulement plaintif sortait de la gueule d'Alacanth. L'odeur de sang frais se mêla à celle de la substance verdâtre, visqueuse et nauséabonde qui courait sur l'épée du jeune homme dans un mélange écœurant. Il frappa encore une fois, avec tant de violence qu'on eût dit qu'il allait lui trancher la patte. Mais la bête le repoussa comme il aurait écarté un insecte nuisible et l'envoya s'écraser contre le mur de la ruelle. Son regard se ralluma d'éclairs. Puis tomba sur cet humain qui avait eu l'audace de le défier.
— Pixx ! hurla encore Zalma.
Alacanth ouvrit la gueule. L'armure bosselée et maculée de boue sanglante, Pixx se releva et fit face à ses crocs pareils à des faux. Le rugissement lui ébranla la cage thoracique, martela ses oreilles, ses os, son crâne. Il aurait dû s'écrouler, mais son dos percuta à nouveau le mur derrière lui. Un vertige lui fit fermer les yeux. Et soudain tout se confondit dans une obscurité trouble, dévorée par des ombres dansantes, à travers laquelle voltigeaient les souvenirs de l'homme qui sent que la vie lui coule entre les doigts. Bientôt il tomba dans le noir le plus absolu, tournoyant sur lui-même, hurlant en silence, cherchant à se raccrocher à quelque chose, à quelqu'un, mais tout lui échappait. Plus rien n'était. Il n'entendait déjà plus que les battements sourds de son cœur quand les mots de la petite Oracle finirent par lui revenir en échos. Avec une telle clarté qu'il avait l'impression qu'elle lui parlait à l'oreille.
« Poison. Caprice peut faire renaître les pouvoirs d'un père disparu. »
Il reprit conscience de la réalité, et, mû par un instinct de survie, roula sur le côté au moment où la mâchoire se refermait sur lui comme un étau. Alors que la gueule du monstre perforait le torchis d'une maison dans un nuage de paille terreuse, il se releva d'un bond et profita de l'ouverture pour frapper d'estoc. L'acier s'enfonça dans le cou de la bête, crissa sur ses vertèbres, lui arrachant un grognement étouffé. D'un geste brusque, Pixx retira la lame ; le sang jaillit en cascade, macula d'écarlate son armure déjà souillée par le sang de l'aédelfienne. Il recula d'un pas puis fouetta l'air de son épée, comme si elle ne pesait pas plus qu'une plume. Un jet vert-émeraude s'échappa de la pointe. Et Alacanth se dégagea du mur juste à temps pour le recevoir en pleine poitrine. Des gouttes éclaboussèrent sa gorge et sa gueule. Le grésillement de la chair dévorée par le poison accompagna son hurlement de douleur. Il vacilla, tomba sur un coude, voulut reculer mais ne fit qu'arracher les façades des maisons à cause de la lance de glace traversant son côté. Aussitôt ses plaies se mirent à cracher une fumée noire, grasse, toxique. Déjà le poison commençait à le ronger jusqu'aux os.
Pixx le toisa un instant avec l'arrogance de l'homme qui se croit supérieur. La haine et le mépris brillaient dans son regard. Il estima la distance le séparant de celui dont il avait à tirer vengeance, comme un prédateur prêt à bondir sur sa proie. Il ne pouvait pas le savoir, bien sûr, mais ses actes venaient déjà de tailler une nouvelle brèche dans l'Histoire du monde, pareille à celle que Dusack avait ouverte en livrant Zaak à l'armée royale. Tant d'événements que Taïka lui-même n'avait pas écrit, tant d'événements qui venaient de briser la fatalité de leur destinée respective, tant d'événements qui leur avaient restitué un libre arbitre qu'ils pensaient avoir toujours possédé. Leur destin était mort, aujourd'hui. L'invisible porte de la liberté s'ouvrait devant eux, avec ses incertitudes et ses périls, mais aussi ses espoirs et ses rêves.
Quand la sueur coula dans ses yeux, il brandit son épée pour asséner le coup fatal. Mais tout à coup, une violente quinte de toux le secoua. Cette même toux qui le tourmentait jour et nuit depuis les événements de l'Épine. Son corps tressauta. Sa peau pâlit à vue d'œil. Il se courba en deux, les mains sur les poumons. Il avait peut-être réussi à utiliser son Sceau de lui-même, mais il était loin d'en maîtriser toutes les complexités. Il toussa encore, cracha un filet de bile. Une écume glauque, épaisse comme de la vase, lui mouilla les lèvres. Le poison saturait déjà ses bronches. Ce poison qu'il ne dominait pas encore tout à fait. Et tandis qu'Alacanth hurlait sa souffrance devant lui sans pouvoir se débattre, le jeune homme sentit soudain une main sur son épaule. Il se retourna sur le visage fermé de Zalma.
VOUS LISEZ
Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...