Mais en voyant son visage se durcir, il comprit qu'il avait posé la question de trop. Il y eut un moment de silence pesant. Puis la voix tremblante d'Isélia se fit soudain plus ferme et plus nette :
— Tout ça est vieux, maintenant. Il n'est peut-être même plus Paladin aujourd'hui, tu sais. Tant d'années ont passé depuis.
Elle venait de se fermer à toute émotion en l'espace de quelques secondes. Parler de lui devait déjà réveiller en elle des souvenirs pénibles, mais le nommer les auraient sûrement rendus insupportables. Le sujet était de toute évidence des plus délicats à aborder et Zalma ne souhaitait en aucun cas la brusquer. D'autant plus qu'il ne pouvait, pour le moment, que faire des sombres suppositions quant à la nature des sévices qu'elle avait dû subir durant ces longues années. Peut-être était-il plus judicieux d'attendre qu'elle se décide à en parler d'elle-même. Il oublia son air grave et croisa les bras.
— Je comprends mieux ta révolte, Isélia. Si tu as été...
Il hésita longuement quant au meilleur mot à employer pour ne pas la blesser davantage.
— ... manipulée par un Paladin, ton ressentiment est légitime. Mais est-il bien dirigé ? Cette vengeance sur Zaak... Es-tu vraiment sûre de ne pas commettre une erreur ? Ce n'est pas lui qui t'a posé ces Sceaux. Je le sais à la façon dont tu le regardes. Avec cette indifférence froide mais lucide. Ce n'est pas lui que tu hais. C'est tout ce qu'il représente.
Isélia ne répondit mot. Ou peut-être répondit-elle dans le seul tremblement de ses lèvres. Sentant qu'il n'obtiendrait rien de plus et qu'elle était toujours fragile, Zalma préféra ne pas insister. Elle venait déjà de se confier à lui comme jamais auparavant, il en était parfaitement conscient. En demander davantage eut été du plus mauvais goût. Si mille questions lui brûlaient encore la langue, il pouvait se retenir, lui qui avait déjà patienté plusieurs années pour en arriver là. Le temps était venu de donner un ton plus badin à la conversation.
— Je n'ai que la moitié de l'histoire, là, hein ? Je vais me consoler en me disant que c'est déjà une moitié de plus que tout le monde.
Elle esquissa un sourire timide et hocha la tête d'une façon presque imperceptible.
— Écoute, faisons quelque chose. Une fois qu'on se sera occupés de Zaak, tu me racontes le reste de ton histoire, ça te va ?
Le sourire se fit plus franc.
— Ça me va.
Elle ne prenait que peu de risques. À l'évidence, il n'y aurait pas de lendemains plus beaux ou plus doux. Il n'y aurait pas d'après. Ils le savaient tous les deux.
Il lui tendit le bras.
— On va s'occuper de Pixx ?
— Oui, répondit-elle simplement en lui attrapant la main.
Il l'aida à se relever. Après un dernier échange de regards complices, elle reprit sa marche en avant d'un pas léger. Le morceau de tissu déchiré de son pantalon pendait mollement à son genou.
— Je ne suis plus infirme, tu sais. Ça va pour cette fois mais ne prends pas cette habitude de m'aider dans chacun de mes mouvements. Tu serais étonné de ce dont je suis capable malgré la douleur.
L'aédelfien en savait quelque chose, pour en avoir eu plusieurs démonstrations récentes. Que ce soit lors de l'attaque sur La Gravelle ou au cours de la bataille de l'Épine, Isélia se déplaçait, courait, sautait, se battait avec plus de vigueur encore que les guerriers les mieux entraînés. Et si elle posait souvent sa main sur sa cuisse, cela semblait plus tenir du tic nerveux qu'autre chose. Elle cachait parfaitement son jeu, si bien que personne n'aurait pu se douter de ce qu'elle devait supporter au quotidien. Elle cachait trop bien son jeu. Il haussa les sourcils tout en la regardant avancer.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...