Une large muraille demi-circulaire, similaire à celle aux abords de la cité, séparait la ville en deux zones distinctes : la ville-basse d'un côté et la sobrement nommée "ville-haute" de l'autre. La porte de la Félicité, protégée tout comme Khàn par de nombreux soldats, permettait de franchir cette nouvelle enceinte.
Sans s'arrêter un seul instant, Nellea s'engagea sur le pont-levis menant aux hauteurs de la ville. Elle ne semblait guère prêter attention aux gardes surarmés présents en nombre sur la muraille et aux abords de la porte. Elle découvrit soudainement son épaule droite, ce qui entraîna sifflets d'admiration et exclamations plus ou moins respectueuses des hommes aux alentours. Ils n'avaient, pour une large partie d'entre eux, pas souvent l'occasion de guigner une si belle jeune femme. Un petit « H » similaire à celui de la cuisse de Faron, bien que beaucoup moins large, traversé lui aussi d'une épée venant couper une pierre, était marqué au fer sur son omoplate. Mais les soldats en tinrent à peine compte et se contentèrent de la saluer ou simplement de l'admirer.
Dans une insouciance enfantine, Nellea sautilla, les bras levés, pour montrer le dos de ses mains à qui voudrait les voir, tout en franchissant l'imposante arche de la Félicité. Elle prit soin de recouvrir son épaule après avoir frôlé les hommes en poste. Son parfum de jasmin se répandit autour d'elle, enivrant même les plus réfractaires à son charme. Alors que tous les gardes avaient encore les yeux rivés sur elle, elle grimpa l'immense escalier derrière la porte, qui séparait les deux quartiers de la ville.
Franchir cette muraille semblait bien plus aisé que transiter du faubourg à la ville-basse. Ou alors, peut-être qu'être une charmante jeune femme dans la fleur de l'âge accordait certains passe-droits, même si les soldats concernés nieraient en bloc une telle affirmation, assurément calomnieuse à leurs yeux.
Après plusieurs secondes d'ascension dansante, Nellea faisait face à la ville-haute, un quartier qui avait bien peu en commun avec sa sœur basse. Les rues y étaient bien plus larges, ordonnées, propres et silencieuses. Ici, aucun brouhaha écrasant, pas de volailles colériques et aucun gamin malappris ne venaient perturber la quiétude environnante. L'endroit était résidentiel : de nombreuses maisonnettes individuelles, faites de pierres et au toit de chaume et branches tressées, donnaient des airs de village rural au quartier. Nellea avança et prit une grande inspiration, humant les délicates fragrances des nombreuses fleurs colorées qui jonchaient les jardinets des maisons. Une douce odeur de tourte aux haricots nébuleux (1) parvint jusqu'à ses narines et lui rappela qu'elle avait le ventre vide.
Elle fit quelques nouvelles enjambées, puis atteignit ce qui s'apparentait à une place carrée : les maisons s'écartaient et un grand espace se dessinait, entouré d'arcades sous lesquelles de nombreux enfants jouaient en silence. Plusieurs hommes discutaient paisiblement sur les bancs accolés aux demeures. Une fontaine dominait le centre de la place, bordée de platanes monumentaux, alignés en arc de cercle. Dans son bassin, une statue d'au moins trois mètres de haut, représentant un étrange mélange chimérique, laissait s'échapper un mince filet d'eau. La bête au corps et à la tête de félin à dents de sabre, pourvue d'une corne unique, toisait les lieux d'un regard menaçant. Une épaisse crinière courrait le long du haut de son dos et ne s'arrêtait qu'à la base de ses deux énormes ailes à demi repliées, prêtes à l'envelopper. Une longue queue terminée par une touffe épaisse venait parachever cette œuvre insensée, qui semblait provenir de l'imagination d'un artiste farfelu, mais conférait à la petite place un charmant cachet. Mais ce qui contrastait le plus avec le faubourg et la ville-basse restait le silence. Nul bruit ne venait entacher le calme ambiant. Seul le léger filet d'eau qui s'écoulait de la gueule de la statue se faisait entendre, associé par moments aux pépiements des oiseaux. Ils virevoltaient et gazouillaient au-dessus des maisons comme s'ils avaient déjà accueilli Renaissance.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...