Lorsqu'il s'aperçut qu'Isélia se rapprochait de sa masure, Pixx sortit de son état de sidération et eut un mouvement de recul instinctif. Choqué par ce qu'il venait de voir, il tituba et dut s'appuyer sur le dossier d'une chaise pour ne pas s'effondrer.
Les histoires sur la guerre avaient caressé son enfance sans lui laisser de souvenirs marquants. Mais il devait désormais affronter la réalité, et non se bercer de récits suffisamment atténués pour pouvoir être racontés au coin d'un feu de bois. Il n'était plus en sécurité de ce côté de Fracture. La mort rôdait sur la Plaine Centrale.
Il voulut s'asseoir pour reprendre haleine, mais à peine eut-il fléchi les genoux que les vibrations qu'il avait déjà ressenties quelques minutes auparavant refirent surface. Elles remontèrent le long de ses jambes et leur arrachèrent des spasmes incontrôlés. Il se releva aussitôt et découvrit avec surprise qu'une nouvelle fois, le simple fait de se mettre debout atténuait cette désagréable sensation. Il resta figé, transi comme un oiseau tombé du nid.
Bientôt les pas d'Isélia retentirent dans le silence, puis elle apparut sur le seuil de la porte.
— Tu peux marcher ? lança-t-elle sans s'embarrasser de cérémonie.
Un vent d'hésitation parcourut la pièce. La jeune rebelle dégageait une aura tout à fait particulière, exceptionnelle, fascinante ; Pixx ne pouvait déterminer si elle le rassurait ou l'inquiétait. Il ne put refréner un regard insistant, qui en disait plus que bien des paroles. Ses yeux vert d'eau l'hypnotisaient. À tel point qu'il fallut qu'elle émette un grognement impatient pour enfin avoir une réponse.
— Je crois que oui, balbutia-t-il en hochant la tête.
— Viens. Allons faire un tour.
D'un geste de la tête, elle lui intima de la suivre au dehors sur le champ. Il s'exécuta de mauvaise grâce. En avançant vers la porte à pas feutrés, il se sentit perdu, comme dans quelque rêve aux contours flous et nébuleux. Tout en Isélia le perturbait et il craignait la discussion à venir.
Lorsqu'il sortit à l'air frais, une autre de ses craintes devint certitude. Il put enfin analyser tous les angles du village et se rendre compte que Dusack ne figurait pas parmi les hommes qui s'activaient çà et là. Son seul repère dans cette région inconnue n'était pas là. Bien que froid et distant à son égard, il restait tout de même le selmien qui l'avait pris sous son aile pour ce voyage périlleux. Et, dorénavant, qui lui avait sauvé la vie. Sans lui, il ne savait pas ce qu'il allait advenir de ses projets. Quand bien même Zalma avait mentionné la reprise de leur route vers Aredhel, il ne pouvait s'empêcher de penser que sans Dusack, leur périple serait beaucoup moins sûr et sans doute plus hasardeux.
Un claquement de doigts le tira de sa rêverie.
— Un problème ?
— Non, je...
Il secoua la tête pour dissiper sa confusion.
— Mes blessures. Ce lieu nouveau. L'attaque qui vient de se produire. C'est beaucoup pour moi. Je suis un peu perdu.
— Bienvenue à La Gravelle ! renchérit Isélia. Pas vraiment le lieu idéal pour un convalescent. Comme tu as pu le voir, nous sommes sous pression. Ces fils de Sköld (1) ont décidé de reprendre tous les territoires de la Plaine Centrale qu'ils avaient lâchés. Et pour être très franche avec toi, nous peinons à les contenir. Leurs assauts sont irréguliers, imprévisibles, principalement lancés pour ronger notre moral à petit feu et nous forcer à reculer. Ton ami, l'aédelfien, excelle en magie protectrice, ce qui nous a permis de...
Comme elle développait ses explications, ses mots se muèrent en un bourdonnement indistinct, puis Pixx n'entendit plus qu'un faible murmure. Il ne se sentait que peu concerné par ces histoires, et ne voyait en ce conflit qu'un vain combat entre deux idéaux moraux illusoires. L'opposition entre l'extrême liberté individuelle défendue par les rebelles et l'intérêt collectif, émaillé de nombreuses contraintes, recherché par le pouvoir. Un individualisme exacerbé contre une autorité persuadée de sa supériorité et de la légitimité de ses décisions. Deux visions opposées, deux rapports au monde qui préféraient débattre à coups d'épée ou de tirs de trébuchet, plutôt qu'à renfort d'arguments.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...