Caprice empoisonné - partie 2

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Pixx fut sorti de son sommeil par la délicatesse de Dusack. Hagard, il manqua de tomber de son lit défraîchi lorsqu'il martela la porte de sa chambre du pommeau de son épée, avant d'y entrer en trombe. Il crut distinguer quelques réprimandes au milieu des éclats de voix du guerrier mais ne put y réagir, bien trop amorphe pour avoir une répartie convenable. À peine eut-il le temps d'émerger qu'il était déjà reparti, en lui intimant de le rejoindre au plus vite. 

Tandis qu'un calme relatif revenait dans la pièce, le jeune homme s'assit sur sa paillasse. Des maux de crâne lui prirent les tempes en tenaille et il dut s'appuyer sur le mur du fond pour ne pas s'écrouler de nouveau. Les cris de Dusack se dissipèrent alors que les souvenirs de la veille affluèrent à sa mémoire. Une indicible peine s'empara de lui. Même s'il n'était pas le responsable direct de la mort du troubadour, la flèche assassine lui semblait nimbée de ses propres mots lorsqu'il revoyait les images de la scène. Comme s'il avait donné l'autorisation à l'archer d'agir ; pire encore, comme s'il l'avait accompagné dans son geste. Il se sentait coupable et était en proie à un intense remords. Il savait bien que s'il n'avait fait que flâner dans le village, sans vouloir satisfaire sa curiosité, la petite musique entraînante résonnerait encore depuis le rez-de-chaussée. Mais ce matin-là, un silence pesant régnait sur l'auberge. 

Tant qu'il s'était contenté de parler de Mateus, il n'avait guère obtenu de réaction des villageois. Au mieux, il avait reçu des regards désabusés, au pire des insultes ou invitations à aller voir ailleurs, mais rien de bien différent par rapport aux réponses des selmiens. En revanche, dès lors qu'il avait prononcé le mot interdit, l'attitude des habitants était devenue plus sombre, presque haineuse. La tension s'était intensifiée jusqu'au point de non-retour. Jusqu'au tir mortel. 

Tout en essayant de chasser ces images de son esprit, il jeta des regards par la fenêtre encrassée qui donnait sur la place du village. Dusack l'avait déjà rejointe, et discutait calmement avec Zalma. Pixx retrouva un semblant de paix à la vue de l'aédelfien, la seule personne à avoir tenté de le rasséréner suite à son expérience de la veille. Même s'il ne le connaissait pas encore - après tout il n'avait passé qu'une unique soirée avec lui -, il le sentait plus avenant et meilleur compagnon de route que Dusack. Le jeune homme n'était pas au fait du marché des deux amis et ne savait donc pas pourquoi il les avait ralliés, néanmoins il ne pouvait s'empêcher de penser que Zalma allait égayer le voyage. Un jugement un peu hâtif, mais qui avait au moins l'avantage de l'apaiser et de le conforter dans l'idée que tous les rebelles n'étaient peut-être pas agressifs et intolérants. 

L'aédelfien avait d'autre part tenté d'expliquer à Pixx les raisons de cette réaction si violente de l'archer. Sans chercher à justifier son acte ou à l'excuser, mais plutôt pour essayer d'y trouver une once de logique. Plusieurs années auparavant, un Paladin avait tenté de se faire passer pour un simple pèlerin demandant l'hospitalité à Nacris, dans l'unique but d'infiltrer les rebelles et d'obtenir des informations. Crasseux, habillé en mendiant, aux cheveux poisseux trop longs et au visage amaigri pour l'occasion, il avait réussi à se fondre dans la masse et à créer une habile illusion plusieurs jours durant. Une intervention de justesse de Ranks avait révélé la supercherie, qui aurait pu conduire à la chute du mouvement tout entier. Depuis lors, les rebelles oscillaient entre méfiance sévère et aversion pure et simple envers tout voyageur qui entreprenait de s'installer dans leur village. D'autant plus s'il venait d'une ville sous contrôle de l'armée. Ils tentaient d'éplucher les antécédents de chaque arrivant, mais ils savaient, en connaissance de cause, qu'une personne déterminée à camoufler sa véritable identité pouvait toujours y parvenir. 

Pixx essuya une larme qui roulait sur sa joue puis se prépara en vitesse. Il ne voulait pas exaspérer davantage un Dusack déjà furieux, aussi ignora-t-il le baquet d'eau chaude et vaporeuse qu'on lui avait préparé. L'hygiène et la détente attendraient. Quitter ce nouveau village le laissait indifférent, Nacris ne lui avait apporté aucune réponse, seulement une confusion supplémentaire. Il lui fallait aller de l'avant : maintenant que le chef autoproclamé de cette mission avait recruté son ami, le groupe allait enfin pouvoir se diriger vers Aredhel pour de bon. Il n'y aurait plus de contretemps.

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant