Le reste du voyage se passa dans une ambiance agréable, bien que fort silencieuse par moments. Peu aimable la journée, sans-cesse sur le qui-vive, Dusack se détendait le soir venu et devenait même parfois très loquace. L'obscurité le déridait. Il assurait l'unique repas de la journée, pris le soir, en jouant de sa magie ardente pour cuire les quelques proies qu'il parvenait à attraper, souvent des lièvres esseulés. Il raconta d'ailleurs à Pixx qu'il n'avait pas choisi cet élément par hasard. En tant que guerrier solitaire souvent loin de chez lui, il voyait le feu comme le meilleur pouvoir pour assurer sa survie. Allumer un feu de camp, éclairer une nuit sans lune, cuire les aliments, purifier l'eau en la faisant bouillir, repousser les prédateurs, se maintenir au chaud ou au sec, dans la nature tout semblait plus facile avec un feu infini à disposition. Il lui permettait d'éviter de succomber bêtement dans un environnement hostile.
Pixx se renfrogna face à toutes ces explications. Pour lui, la magie restait synonyme d'une absurde quête de puissance qui animait beaucoup d'hommes. La plupart s'en défendaient en avançant des arguments similaires à ceux de Dusack. Beaucoup disaient que la magie leur permettait d'améliorer leur quotidien et de simplifier certaines tâches élémentaires. Pourtant, nombre d'entre eux n'hésitaient pas une seule seconde à user de leur pouvoir comme d'une arme, si le besoin s'en faisait sentir. Quitte à répandre le sang : un magicien était en effet autrement plus dangereux et imprévisible que le premier brigand venu armé d'une dague rouillée.
En réponse, et afin de prévenir tout incident, un décret royal avait jadis interdit la possession d'Eléments et l'utilisation de la magie. Dans les faits, un marché noir très actif s'était développé et de nombreux Eléments circulaient encore, même s'ils se faisaient de plus en plus rares. Les rebelles militaient ardemment pour leur autorisation et accusaient le roi et les Paladins d'avoir mis en place cette interdiction dans le seul but de concentrer le pouvoir dans leur main, afin de contenir toute tentative de révolte. Car l'armée, elle, avait carte blanche sur l'usage de la magie.
Le regard de Pixx se perdait parfois dans les trois cercles rougeoyants incrustés dans la main de Dusack. Ses trois Eléments. Il aimait admirer ces étranges marques, même s'il n'en comprenait pas le fonctionnement. Sur leur surface, des minuscules cristaux de feu s'entrechoquaient avec force, comme s'ils cherchaient à s'échapper de sa main. Pixx ne saisissait pas comment de tels tatouages pouvaient bien être acquis, encore moins comment ils fonctionnaient et accordaient un quelconque pouvoir. À vrai dire, la magie ne l'intéressait guère : il préférait ne pas poser de question et se contentait d'admirer les possesseurs d'Éléments sans forcément les envier. Il ne voulait pas tomber dans ce cercle vicieux qui rongeait déjà trop de rebelles et avait causé nombre de morts.
*
Après trois jours de voyage, les premières bâtisses de Nacris apparurent à l'horizon. Bientôt ils entrèrent dans le village, très semblable à Selm, le manteau de glace en moins. Chaumières et granges côtoyaient d'immenses chênes centenaires. Des murailles instables ceinturaient la zone, fragiles mais suffisantes pour repousser un assaut mal préparé. Les deux jeunes hommes avançaient d'un pas rapide vers le cœur du village. Les habitants ôtaient leurs chapeaux de paille en guise de respect lorsque Dusack croisait leur chemin. Sa réputation le précédait et il avait bien du mal à passer inaperçu, à son plus grand regret.
À peine arrivé sur la place du village, animée par un petit marché matinal, Dusack prit la parole :
— Fais ce que tu veux. Accorde-toi une nuit dans un vrai lit. Nous repartons demain à l'aube.
Pixx ronchonna entre ses dents. Ce voyage prenait des airs de découverte des quatre coins de Lydia. Devoir faire une pause dans chaque village ne le réjouissait guère, même s'il était bien conscient qu'il devait se plier aux choix de Dusack.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantastik« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...