Ombres sur La Gravelle - partie 1

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Un violent coup d'épaule sortit Isélia de ses pensées. Elle oublia la vision d'horreur qu'elle vivait depuis quelques instants et reprit pied dans la réalité. Autour d'elle, des étincelles fusaient de tous bords, propageant le feu aux broussailles alentour. Puis, comme pour exciter l'incendie naissant, des javelines incandescentes tombèrent du ciel dans un grondement d'avalanche. L'une d'elles se planta dans le sol juste devant ses pieds. La terre s'ouvrit sous ses bottes dans un fracas de fin du monde tandis que la lance ardente crachait des éclats volcaniques brun foncé en tous sens. La jeune femme pivota dans un mouvement coulant pour les éviter et fonça en direction d'un terrain plus dégagé. Un mur de flammes et de fumée attisé par le vent de la mort se dressa devant elle en rugissant. Elle dut de nouveau reculer et sinuer entre les brasiers pour ne pas se faire brûler vive. Un déluge de magie d'une rage inouïe tombait sur les abords de La Gravelle. Les sorciers adverses contrôlaient les éléments à volonté et faisaient s'abattre sur les rebelles toutes les intempéries connues de ce monde.

Elle trouva refuge près d'une chaumière, aux côtés de Dusack. Il n'avait pas attendu pour se replier derrière une palissade de fortune. Partout, des hommes hurlaient des ordres et des contrordres dans un chaos épouvantable. Ils essayaient vainement de se rassembler et d'organiser une défense. Ils n'étaient pas préparés à subir une attaque venant des Échardes.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? haleta Isélia en vérifiant que ses vêtements ne brûlaient pas.

— Des soldats, répondit Dusack, dos collé contre la barricade. Une quinzaine d'hommes en épée. Et au moins autant de magiciens et d'archers. J'étais en pleine méditation matinale quand je les ai repérés. Vous n'avez pas de sentinelles dans les Échardes ? Ça ne vous est pas venu à l'esprit qu'ils pouvaient vous prendre à revers ?

Elle serra les dents, consciente d'être en faute. Ses doigts se crispèrent sur son arc. 

— Je... Ils sont trop lâches pour quitter leur tour de pierre, d'habitude. 

— Mais depuis trois jours, un aédelfien s'amuse à déjouer leurs assauts. Et vous pensiez qu'ils allaient continuer les mêmes attaques sans réfléchir ? Les prendre pour des idiots n'est pas la meilleure stratégie à adopter. Et vous vous dites reb...

Avant qu'il ne puisse finir sa phrase, une déflagration arracha un pan de mur à côté d'eux dans un nuage de gravats et de poussière sale. Le souffle les jeta tous deux à terre. Dusack s'écroula sur l'herbe drue en toussant à fendre l'âme. Isélia roula sur elle-même, cracha les cendres qui lui collaient à la langue puis se releva en pointant son arc bandé en direction d'un adversaire invisible. Le rideau noir de flammes et de fumée occultait ce que l'air bouillant aurait pu laisser voir. Elle ne distinguait que les ombres troubles agglutinées derrière, au coude-à-coude. Les assaillants avaient décidé de leur bloquer toute vision et de libérer leur magie au hasard, sans doute jusqu'à détruire complètement le village.

Elle renifla avec mépris et se fit violence pour repousser l'abattement qui l'accablait. Elle ne pouvait pas faillir. Pour Àltaron.

Son front se creusa, ses sourcils se touchèrent alors qu'elle tentait de viser dans ce qui n'était de toute façon qu'une ligne ennemie. Qu'elle distingue des visages ou n'entrevoit que des silhouettes ne changeait rien à sa détermination. Tous méritaient le même sort. Une agonie pénible et douloureuse.

Elle ferma un œil et laissa échapper une longue expiration. Une brume blanchâtre, semblable à de la vapeur de lait épaisse, virevolta autour de la pointe de sa flèche, comme si elle se chargeait de magie. La corde de son arc claqua. Une traînée blanche siffla dans les airs. Le projectile traversa la barrière de feu avant de perforer le casque d'un soldat du roi. Il s'effondra sans un cri, sans même s'apercevoir de l'agression. Sa tête heurta le sol et il en perdit son chapel de fer sous l'impact. Une flaque de sang visqueuse macula l'herbe gelée. Elle progressa par à-coups et vint bientôt caresser les bottes de Pixx. L'apprenti magicien était resté transi, recroquevillé sur lui-même sous une majestueuse racine en forme d'arche. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant