Renaissance - partie 4

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Aussitôt, Zalma se leva de son rocher, l'air grave, et jeta un nouveau coup d'œil sur la cuisse de son amie, sans insister outre mesure. Il faisait de son mieux pour ne pas paraître choqué ou effrayé. Il avait bien vu qu'elle était sur le point de pleurer. Mû par un élan de tendresse, il posa sa main sur son épaule, la serra doucement entre ses doigts. 

— Isélia... Tu...

Elle renifla bruyamment, chassa ses larmes naissantes du revers de sa main. Sa poitrine se souleva, cherchant à libérer les émotions emprisonnées à l'intérieur. Elle fixait toujours le sol, comme si elle n'osait pas le regarder dans les yeux. Mais plus que de la gêne, c'était la douleur et la peur qui lui écrasaient le cœur. 

Sans réfléchir, Zalma se pencha en avant et la prit doucement dans ses bras. Elle ne lui rendit pas l'étreinte, mais ne le repoussa pas, et appuya même sa tête contre sa poitrine pendant un instant. Un sourire triste se peignit sur son visage. Et comme elle tremblait des pieds à la tête, il la serra plus fort encore. Puis, aussi délicatement qu'il l'avait enlacée, il la relâcha, sans doute à contrecœur. Il recula d'un pas et vit qu'elle souriait et pleurait à la fois. Il hésita, de peur de ne pas trouver les bons mots. 

— Tu veux t'asseoir ? lui proposa-t-il en lui désignant le rocher sur lequel il se trouvait l'instant précédent. 

— Je vais bien, assura-t-elle sans vraiment y croire. 

Elle prit quand même place. Son ami s'accroupit à ses côtés et lui saisit la main. 

— Tu veux bien me raconter ? Pour le moment, je crois que j'ai encore plus de questions qu'il y a deux minutes. 

Elle hésita à son tour. Ses épaules s'affaissèrent. 

— Je ne sais pas par où commencer. C'est une longue histoire. 

— Peut-être tout simplement par le début ? lui demanda-t-il d'une voix tendre tout en serrant sa main entre les siennes. 

Elle renifla encore quelques larmes et prit une profonde inspiration. 

— D'accord. Le début. Très bien. Le début. Je suis née infirme des deux jambes. 

L'aveu tomba comme un couperet de guillotine. Le cœur de Zalma rata un battement mais il fit de son mieux pour ne pas montrer sa surprise. 

— Je ne pouvais pas marcher, reprit-elle toute tremblante. Je n'avais aucune sensation de mon propre corps en-dessous du bassin. Je suis restée dans mon lit à espérer un miracle pendant dix ans. Seul mon père me portait au dehors pour me faire respirer l'air frais et découvrir le monde. Tous les jours, il me déposait au bord de la petite rivière qui coulait derrière la place du village, glissait mes jambes dans l'eau et me demandais si je ressentais quelque chose. Mais je ne ressentais jamais rien. Alors, il me disait qu'un jour, un chevalier arriverait avec une potion miraculeuse qui me guérirait. Il me disait que ce jour-là, je pourrais découvrir la merveilleuse sensation d'avoir les pieds dans l'eau. C'était une sorte de promesse idiote qu'il me faisait pour essayer de me faire garder le sourire. Tous les jours. 

Elle marqua une pause, les yeux clos. Un silence de mort s'installa. Les souvenirs affluaient à sa mémoire en un flot ininterrompu. Elle continua après un soupir :

— Aux yeux des habitants, j'étais considérée comme un monstre maudit par les dieux. Ils ne voulaient même pas me voir, de peur que mes maux ne s'abattent sur leur famille. Même les quelques Célestes qui ont daigné venir à mon chevet ont tous argué qu'aucun pouvoir n'était assez puissant pour me rendre mes jambes. Peu à peu, mes parents ont perdu tous leurs amis ou simples connaissances à cause de moi. Ils sont devenus des parias. Et on a fini par vivre isolés du village, rejetés de tous, dans une petite chaumière à l'écart. Heureusement, ils ont toujours refusé de m'abandonner. Même si c'est ce que tout le monde leur recommandait. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant