Château d'Aredhel, le même jour.
— Monseigneur Solafein ! Monseigneur Solafein ! C'est terrible ! C'est affreux ! C'est une catastrophe !
Plusieurs hommes jetèrent un discret coup d'œil en direction du couloir où résonnaient des pas pressés sur le sol de marbre. Des pas pressés mais désaccordés, qui trahissaient une marche pleine de terreur. Quelques instants plus tard, un petit homme ventripotent et apeuré parut, à hauteur du deuxième étage, sur la galerie intérieure qui ceinturait le hall d'entrée du château. Son visage joufflu était cramoisi et des gouttes de sueur perlaient sur son front. Il tenait sa longue toge couleur grenat à la main pour ne pas qu'elle traîne sur ses gros pieds.
— Une catastrophe vous dis-je !
Postés à chaque porte, les gardes en armure blanc et or restèrent immobiles comme autant de statues de bronze. Tout juste resserrèrent-ils leur prise sur leur hallebarde au passage du petit homme excité. Et même lorsqu'il prit à partie le premier garde venu, l'accusant de toutes les turpitudes du monde dans une averse de postillons, celui-ci ne lui adressa pas même un regard. Ainsi étaient les soldats d'élite du château d'Aredhel, impassibles, silencieux, ils ne manifestaient ni crainte, ni joie ; on les disait même dépourvus de la moindre émotion. Des hommes maîtres d'eux-mêmes, maîtres de leurs passions, maîtres tout court, aguerris au maniement des armes et des Éléments, des hommes dont Solafein vantait sans cesse les qualités tout-à-fait remarquables. Il disait qu'à eux seuls, ils pouvaient défendre le château contre une armée entière des saisons durant.
Sans s'inquiéter de cette indifférence manifeste à son égard, l'homme continua son chemin. Bientôt il atteignit la Crécerelle, le quartier résidentiel des Paladins, situé dans l'aile gauche du château, au bout d'un couloir sans fin. Dans un hall circulaire voûté d'ogives, six portes massives, en chêne épais, menaient à autant d'appartements privés que le fondateur des Paladins avait fait aménager lors de la création de l'Ordre. Un immense chandelier de cristal à six branches tombait du plafond et éclairait une succession de tableaux représentant des guerriers de lumière dans une pose triomphante. Mais l'homme n'eut pas l'occasion de les contempler. La lame d'une hallebarde pointée directement sur son ventre fut le seul accueil qu'il reçut. À nouveau, des gardes placés devant chaque porte assuraient la surveillance des lieux.
— Tu n'es pas autorisé à venir ici, lui lança une voix sinistre, métallique comme l'acier.
— Laisse-moi passer, espèce de sauvage ! ordonna-t-il entre ses dents. J'ai un message de la plus haute importance pour Monseigneur Solafein !
Pour toute réponse, il reçut un regard glacial, noyé dans les ombres du heaume que les gardes d'élite ne quittaient jamais. Leurs armures blanches et éclatantes s'opposaient à l'aura obscure qu'ils dégageaient. Les secondes s'égrainèrent au ralenti, dans une angoisse pesante. Puis soudain, derrière la porte la plus à droite, une voix salvatrice résonna, une voix reconnaissable entre toutes, grave, profonde et brutale :
— Entre donc, mon bon conseiller ! Entre et installe-toi.
Il y eut un moment d'hésitation tant l'invitation était surprenante. Puis le garde se détendit et reprit sa place sans faire de commentaire. Lorsqu'il fit claquer la hampe de sa hallebarde sur le sol, le conseiller s'avança d'un pas assuré. Sur son visage rubicond ne se lisait plus que la fierté arrogante d'avoir eu l'assentiment de leur maître commun.
Les battants de la porte s'ouvrirent sans bruit, dans un large geste de bienvenue.
— Monseigneur Sola...
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...