Du haut des tours circulaires surplombant l'entrée de la ville, plusieurs archers scrutaient leur avancée depuis un moment déjà. Les femmes de mauvaise vie et autres ivrognes gorgés de vin faisaient de même, qu'ils soient dans la rue ou aux fenêtres de leur masure.
La plupart des curieux s'écartaient du chemin et gardaient le silence à leur passage, mais ne perdaient pas une miette de cet étonnant spectacle. Seuls quelques murmures s'élevaient de-ci de-là. Les habitants du faubourg avaient l'habitude de voir des prisonniers de guerre être traînés jusqu'au château, mais les aédelfiens se faisaient rares - au moins en apparence - aux alentours d'Aredhel. Aussi Zalma fut-il dévisagé par tout un monde hostile, comme cet homme qui cracha vers lui un glaviot épais. Un monde apeuré, comme cet enfant qui s'agrippa aux jupes crasseuses de sa mère, en quête de réconfort. Ou un monde indifférent, comme cette femme qui préféra regagner ce qui lui servait d'abri en faisant mine de ne pas avoir remarqué le drame qui se jouait devant ses yeux. Tel était le monde des aédelfiens dans cette partie du royaume.
Un monde d'hostilité, de peur et d'indifférence à leur égard.
Et alors que le groupe arrivait enfin devant la porte de Khàn, un soldat s'avança d'un pas tranquille, épée à la main mais sans casque ni bouclier. Derrière lui, la herse était déjà levée et le pont-levis couché : il venait sans doute de faire entrer un habitant de la ville-basse. Deux autres gardes étaient installés sous l'arche de la porte. En pleine partie de Fatum, accoudés à une petite table faite de bric et de broc, ils relevèrent à peine la tête en les voyant approcher.
— Eh bien ! Qu'avons-nous là ?
Dusack fit tout de suite un pas en sa direction, peut-être pour s'assurer que Pixx n'intervienne pas. Il esquissa un salut rapide et releva la visière de son heaume, en signe de respect et de courtoisie. Les sentinelles aux portes de la ville voyaient passer tellement de monde qu'ils ne pouvaient pas identifier avec précision chacun de leurs pairs. Si bien que ces yeux tout à fait ordinaires n'étonnèrent guère le soldat, il n'eut qu'un bref froncement de sourcils. Très vite, il se concentra plutôt sur les prisonniers, en retrait, qui semblaient attendre leur sort.
— Un survivant aédelfien qui traînait aux abords de la cité, l'informa Dusack. Et une opportuniste qui se vante d'avoir pris la tête de la rébellion suite à la chute de l'Épine. Deux belles prises qui devraient ravir les Lumières de la Justice.
— Et même un Nuage Noir ! s'enthousiasma le soldat en admirant Utopie. Je suis impressionné. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir une telle bête. Ces pendards tramaient quelque chose ?
Dusack croisa les bras avec autorité.
— Assurément. Une crevure aédelfienne et une anarchiste. Ensemble. Aux portes de la cité. Je ne crois pas qu'ils allaient faire une partie de Fatum au coin d'un feu de camp, eux.
La comédie était jouée avec tant de naturel que le royaume entier aurait pu être trompé. Zalma se demanda même si son ami n'était pas en train de savourer l'instant. Mais il n'eut guère le temps de s'appesantir sur la question. Après un regard vers ses camarades qui jouaient toujours dans une indifférence manifeste, le soldat acquiesça d'un signe de tête puis vint lentement se planter devant Isélia. Si lentement qu'on eût dit que lui aussi prenait du plaisir à faire s'éterniser la scène. Il l'inspecta de la tête aux pieds, sans se hâter. Elle avait les yeux baissés sur ses mains abîmées, tremblantes de fatigue et d'émotion. De l'index, il lui releva le menton pour voir ses yeux. Puis il passa son pouce de fer sur sa mâchoire.
— Alors, on joue à la rebelle, hein ?
Sur ces mots, il lui caressa la joue avec insistance, tout en la dévorant de son regard vicieux. Puis, soudainement, il la gifla du revers de son gantelet, si fort qu'elle ne put retenir un cri de douleur et un pas de côté. Le sang se mit à couler de sa lèvre inférieure déchirée. Zalma fut pris d'une pulsion noire et faillit se jeter sur lui pour l'étrangler, mais la jeune femme lui attrapa la main à la volée et la serra avec une telle énergie qu'il se figea sur place. Ils ne pouvaient pas faillir maintenant. Ils devaient accomplir leur tâche, même s'il leur fallait pour cela endurer encore quelques supplices sans mot dire. L'aédelfien transperça tout de même le soldat d'un regard glacial où se lisait une haine sauvage. Mais après plusieurs secondes de tension, il fut le premier à baisser les yeux. Evidemment parce qu'il était contraint de les baisser pour le bien de sa mission, et non par obéissance à un pouvoir qu'il ne respectait plus depuis longtemps. L'homme cracha à ses pieds pour lui témoigner son mépris, un affront que les siens avaient l'habitude de subir.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasía« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...