Utopie - partie 4

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Un silence.

Un long silence qui avait plus de poids que des mots. 

Une étincelle presque imperceptible naquit sur la joue de l'Oracle. Quelque chose, dans l'air, se préparait, invisible à l'œil nu mais pourtant déjà présent, naissant. 

Le silence se prolongea. Il n'était interrompu que par le bruit que faisait Caprice en battant la mesure avec la semelle de sa botte. 

Circé plissa les yeux puis remit sa capuche comme si l'heure du départ avait sonné. 

— Tu m'as touchée, répondit-elle d'une voix trop calme pour être de bon augure. 

Un sourire se dessina sur les lèvres de l'aédelfienne ; le sourire fier de celui qui pense avoir pris l'ascendant psychologique sur son adversaire. Elle admira Ombra avec encore un peu plus d'insistance. Elle était maintenant persuadée de mener la danse et imaginait déjà que son plan serait une réussite mémorable. 

— Tu m'as touché la main, poursuivit l'Oracle sans bouger d'un pouce. 

Sa voix s'était faite plus grave, profonde et menaçante. Le sourire de Jaderyn devint moins éclatant. Un doute s'immisça en elle. Un frisson la parcourut. Puis l'effroi la gagna lorsqu'elle vit que des arcs électriques couraient sur la cape de Circé. 

Trop tard.

— Je garde le contrôle. Sur tout. À chaque instant. 

À ces mots, un gigantesque éclair tomba sur le toit de la maison et le fendit en deux dans un fracas de fin du monde. Nellea fut projetée au sol sous la force de l'impact, la respiration coupée, tandis que la foudre frappait sa partenaire à l'épaule, descendait le long de son dos, se perdait dans sa cuisse. Tout son corps se raidit, paralysé l'espace d'une seconde. Elle en lâcha Ombra, qui retomba sur la table avec un bruit sec. Un gémissement sourd gargouilla au fond de sa gorge, puis sa mâchoire s'ouvrit sur une tentative de hurlement. Son visage se figea dans cette grimace d'horreur, comme si le temps s'arrêtait pour mieux la torturer pour l'éternité. Enfin, elle partit en arrière à son tour, tel un pantin désarticulé, traversée de part en part par la fureur des cieux. Elle s'écroula dans un nuage de poussière grise et s'immobilisa après quelques soubresauts, sans vie. 

— Personne ne me touche, conclut Circé.  

Un coup de tonnerre secoua le faubourg comme pour appuyer ses propos. Caprice reprit sa danse dans une insouciance parfaite et dévoila un sourire qui, dans pareilles circonstances, était peut-être plus terrifiant encore que le spectacle qui se présentait aux yeux.

Des petits éclairs jaunes continuèrent de crépiter sur le corps de l'aédelfienne quelques secondes, sous les yeux indifférents des deux Oracles. Dans le même temps, le feu se propagea dans la charpente du toit malgré la pluie incessante. Des cendres incandescentes se mirent à voler à l'intérieur de la maison comme de la neige sale alors que des étincelles bondissaient encore par saccades entre les chaises renversées ou le long de la cape de Circé. 

De son côté, Nellea toussait à fendre l'âme. Des larmes s'accumulaient déjà sous ses paupières. 

— Non ! hurla-t-elle à grand-peine. 

Elle se releva à demi, se traîna à genoux et posa sa main tremblante sur le corps de Jaderyn. Une décharge lui parcourut le bras et le fit trembler de manière incontrôlable. Elle jura, toussa, cracha, toussa à nouveau, régurgitant la poussière qui lui saturait la bouche. 

— Non, non, non !  

Ses cris acérés traversèrent l'air comme une lame transperce les tissus, les chairs, et brise les os les plus durs. Dans ses yeux exorbités se lisait l'épouvante, la souffrance de l'impuissance. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant