Les Brèches du Destin - partie 1

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Ce n'était pas une guerre qui avait secoué Aredhel ce jour-là, mais un massacre innommable, une absurdité totale. Les champs de bataille ayant marqués l'Histoire de la péninsule avaient toujours été hideux, de tous temps et en tous lieux, mais peut-être celui-ci était-il pire encore. La ville-haute n'était plus qu'une terre brûlée, noire, morte, où rien ne pourrait plus jamais repousser, un sol de cendres où ne restaient plus que des murs et des fûts calcinés. Une forte odeur de mort empuantissait toute la ville. Et partout le désastre s'affichait sans pudeur. Les corps de femmes, d'hommes et d'enfants s'amassaient en désordre, privés de toute dignité. D'autres cadavres bardés de fer gisaient épars. Leurs entrailles étalées sur le sol. Leurs chevaux éventrés à côté d'eux. Personne n'avait été épargné. Comme ce jour-là, à Elfinéa. 

Aredhel saignera à flots et de ses flancs ouverts jailliront les flammes de la vengeance aédelfienne, disait Ranks. Si la guerre était sordide, injuste et sauvage, sa Vengeance avait été plus sale encore. Elle avait sciemment ciblé des innocents et piétiné un peuple sans défense. 

Et tandis que Dusack contemplait le carnage sans se douter un seul instant que son ami en était responsable, un fracas de ruines couvrit soudain le crépitement de l'incendie. Les restes de la statue d'Alacanth, qui toisait la grand-place de la ville-haute depuis des années déjà, venaient de s'écrouler au loin. Comme si la bête elle-même s'était vengée de sa défaite contre Solafein, en détruisant ce symbole érigé après la Bataille des Héros ; le symbole de la victoire de l'Homme contre le Monstre.

Plus près du jeune homme, quelques mages jetaient de l'eau sur les brasiers pour sauver ce qu'il était encore possible de sauver. D'autres portaient secours aux blessés dans une grande confusion pendant que des soldats recherchaient les derniers aédelfiens rebelles. De part et d'autre on s'accusait, on se reprochait le mal commis, on se calomniait, on se déchirait réciproquement. Maintenant que l'armée royale avait compris qu'elle avait été infiltrée - probablement des années durant -, la suspicion était partout, on ne savait plus à qui se fier. Il n'y en avait plus qu'un en qui une confiance indéfectible subsistait. Celui qui avait défié la bête avec bravoure.

— Bon travail, soldat ! Tu as été impressionnant !

Dusack se retourna. Un homme en armure souillée de sang lui tapa sur l'épaule et lui offrit une accolade fraternelle à laquelle il se prêta d'assez mauvaise grâce.

— La bête a fui parce que tu lui as bien brûlé la gueule ! Si Aredhel est encore debout ce soir, c'est grâce à toi !

Le jeune homme ne répondit que par un hochement de tête. Il ne savait que penser de cette affirmation. Il avait plutôt l'impression que la ville était à terre et qu'elle ne s'en relèverait pas avant de longues années. Aussi resta-t-il hagard un instant alors que déjà le soldat s'éloignait vers le château, seul endroit qui semblait avoir été épargné, même si l'envol d'Alacanth avait ravagé sa cour intérieure. Après plusieurs secondes de contemplation muette, Dusack tourna la tête de l'autre côté, vers les remparts. Là où il avait laissé ses compagnons. Il marqua une pause avant d'ôter son casque pour mieux voir. Mais il ne s'était pas trompé. Ils avaient disparu. Ils avaient sûrement réussi à fuir. Comme il l'espérait. Une expression à mi-chemin entre le soulagement et la terreur passa sur son visage. Car s'il était rassuré d'imaginer Zalma en sécurité, il devait maintenant affronter la solitude qui s'annonçait. Cette solitude qu'il aimait et haïssait à la fois. Il aurait préféré que l'aédelfien l'accompagne jusqu'au bout de sa quête comme il lui avait demandé à Nacris, mais pouvait-il vraiment lui en vouloir d'avoir fui devant Alacanth ? Les jours passant, il avait de toute façon compris que son ami partageait davantage les objectifs d'Isélia que les siens. Et peut-être était-ce bien ainsi. Au vu de la traque que subissaient les derniers vengeurs aédelfiens, Zalma n'aurait pas pu tenir longtemps son rôle de prisonnier de guerre, il aurait été abattu comme les autres sans sommation. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant