Selm, Renaissance, an 127. Aube.
Quelques jets de lumière filtraient à travers la vitre crasseuse de la petite chambre et traçaient des sillons dans l'ombre. Des nuages de poussière stagnaient au ras du sol. Au hasard d'un courant d'air, ils s'aventuraient parfois à caresser la peau satinée du jeune homme encore endormi. Ses cheveux trop longs, toujours en bataille, lui retombaient devant le visage et tremblotaient au rythme de ses expirations. D'un blond cendré, illuminés par les lueurs de l'aurore, ils étaient parsemés de brins de paille qui cherchaient à fuir son lit. Ses traits délicats, enfantins, paraissaient presque angéliques. L'un des derniers visages de Selm épargné par la guerre.
Une porte claqua au loin. Pixx tressaillit, ouvrit les yeux mais les plissa aussitôt à cause de la lumière. Il s'étira puis laissa retomber ses bras sur sa paillasse. Le jour du départ était arrivé. Il se leva d'un bond à cette idée et sauta sur le baquet en bois qui croupissait dans un coin de la pièce. L'eau qu'il contenait, inchangée depuis plusieurs jours, était trouble et glaciale. Qu'importe. Il arrangea gauchement ses cheveux à l'aide de son reflet dans la vitre en guise de toilette. Aredhel et Argën n'attendaient que lui. Au fil des jours, il avait réussi à mettre son appréhension de côté. Dusack lui assurerait un voyage tranquille. Si d'aventure ils rencontraient un soldat royal ou une quelconque créature hostile, il saurait gérer la situation. Quant à l'ambiance morne et froide qui allait régner sur le périple, ce n'était finalement qu'un détail. L'important restait l'objectif. La vérité lui tendait les bras.
Il s'habilla en hâte, en choisissant pour l'occasion une tenue propre ; puis sortit de sa chambre et constata que la pièce principale de la maison était vide. Il eut un rictus d'étonnement, qui se transforma aussitôt en moue. Sa grand-mère n'avait pas pour habitude de sortir, encore moins à l'aube. Qu'elle choisisse le matin de son départ pour s'absenter n'était pas anodin, peut-être voulait-elle éviter un au revoir trop chargé en émotions. Ou plus simplement se garder d'inévitables nouvelles questions sur ses parents. Pixx avait toujours entretenu des relations correctes avec la vieille femme, ils avaient même passé de longues soirées à rire au coin du feu, à jouer à Fatum ou encore à s'empiffrer de pain noir tartiné de bardes de lard. Leurs seuls points de tension venaient toujours du même sujet. De cet éternel sujet à ne pas aborder, sous peine d'instaurer une ambiance pesante et gênante.
Une sacoche de cuir posée sur la table du plateau de Fatum retint soudain l'attention du jeune homme. Il s'en saisit pour l'inspecter. Des pièces tintèrent à l'intérieur. Un sourire égaya son visage encore somnolent. À défaut d'être présente, sa grand-mère avait au moins pensé à lui préparer une bourse. Une note manuscrite non signée, à l'écriture tremblante, était posée à côté. « Puisses-tu trouver ce que tu cherches. »
Pixx perdit son sourire et grimaça. Ce piètre message d'au revoir sonnait presque comme un adieu. Il ne laissait en tout cas que peu de place à un éventuel retour. Comme si elle savait qu'il allait trouver quelque chose. Et que ce quelque chose ne le motiverait pas à remettre les pieds à Selm. Il serra les dents. Il aurait préféré faire face à la vieille femme, pour essayer de déceler sur son visage un signe, une expression ou un tic qui aurait pu la trahir, qui aurait prouvé pour de bon qu'il ne faisait pas fausse route. Que quelqu'un l'attendait en dehors du village. Qu'il avait raison de partir.
Il glissa le parchemin d'Argën dans la sacoche déjà gonflée par l'or, puis l'accrocha à sa ceinture. Il soupira en enfilant son épaisse veste marron et ses bottes, sans même remarquer que sa grand-mère avait pris le temps d'installer ses affaires au coin du feu pour les faire sécher. Finalement, il s'engouffra dehors, dans le froid matinal, en claquant la porte derrière lui, assez fort pour faire frémir la note qu'il avait décidé de laisser sur la table.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...