La ville-basse s'étalait devant ses yeux. Face à lui, des ruelles sombres, encombrées et très bruyantes, serpentaient dans toutes les directions et se croisaient en des angles improbables. Les maisons à colombages, plus engageantes que les bicoques du faubourg, mais néanmoins en piteux état pour la plupart d'entre elles, surabondaient. Faites de pans de bois précaires et d'un torchis douteux, qui avait tendance à s'effriter au moindre contact, elles offraient un aspect charmant mais une solidité contestable. Leur encorbellement ne faisait qu'accentuer l'asphyxie de la ville et était parfois à la limite de créer une arche par-dessus les rues les plus étroites. Boutiques et ateliers pullulaient au bas des maisons ; leurs étals débordant sur la chaussée offraient une variété de produits impressionnante. Épices inconnues, champignons multicolores, légumes saugrenus, céréales diverses ; les denrées plus ou moins alléchantes foisonnaient mais affichaient des prix inaccessibles au plus grand nombre. Divers marchands ambulants tentaient quant à eux de brader leurs poêlons de tripes et autres pâtés de volaille aux passants. Une foule majoritairement masculine grouillait sur le pavé, ouvriers, marchands ou simples passants se croisaient et engendraient un désordre digne du faubourg.
Faron s'engagea sans attendre dans l'une des rares larges rues et la remonta à pas lents, en prenant soin de raser les maisons quand il le pouvait. Il voulait éviter la rigole centrale, dans laquelle se déversait un mélange de déchets capable de retourner l'estomac du plus robuste guerrier de la péninsule. Tout comme au faubourg, de nombreux porcs s'y alimentaient tranquillement, compliquant la progression de la charrette. Faron était bien souvent obligé de les bousculer à l'aide de sa roue avant, s'il ne voulait pas attendre que ces messieurs aient finis leur orgie excrémentaire. Forgerons, cordonniers et autres menuisiers, qui exerçaient à même la rue, le saluaient amicalement lors de son passage. Il se contentait de leur adresser un léger sourire forcé en guise de réponse. Il préférait continuer sa progression sans perdre de temps.
Au détour d'une nouvelle ruelle, une oie mal lunée, que Faron avait dû hautement déranger d'un geste un peu plus brusque que les autres, entreprit de le pincer au mollet. Il l'esquiva d'un mouvement maladroit et manqua de percuter un gamin qui courrait au hasard en se faufilant entre les obstacles sur sa route. L'homme reprit son souffle un instant, mais dut rapidement baisser la tête pour éviter une énorme poutre de bois, qu'un charpentier sortait d'une maisonnette en travaux sans crier gare. Dans le même temps, un garnement profita de l'agitation ambiante pour plonger la main dans la charrette, sans chercher à être discret, et chipa une belle poignée de marrons. Faron eut à peine le temps de lâcher un juron que le gamin disparaissait déjà dans une impasse sinistre sans qu'il ne puisse réagir. Il soupira avant de reprendre son chemin, repensant à tous les envieux qu'il avait laissé derrière lui au faubourg. Une vie plus clémente dans la ville-basse, pensaient-ils tous ? La réalité était toute autre selon lui et il ne voyait pas vraiment de grosses différences entre les deux - hormis, peut-être - la présence de plus de travailleurs et de moins de mendiants de ce côté du mur, ce qui influait assez peu sur la qualité de vie à ses yeux. Le quotidien, ici comme là-bas, n'avait rien de très réjouissant : la misère restait palpable, traverser une simple rue, bondée en permanence, présentait de nombreux risques, et si le bruit ne rivalisait pas avec les hurlements des vauriens et ivrognes du faubourg, il demeurait malgré tout souvent assommant. Il ne comprenait pas que sa situation puisse être jalousée.
Arrivé près d'une masure en ruines, à l'écart du tumulte des plus grosses rues, Faron posa sa charrette dans un petit enfoncement piètrement protégé par un vieux drap en lambeaux et étira son dos meurtri. Il prit une grosse poignée de châtaignes, puis entra dans la maison, claquant la porte de bois vermoulue derrière lui. L'une des nombreuses fissures courant le long de la façade s'agrandit sous l'effet des vibrations, pendant que sur la bâtisse attenante, une enseigne "Armurerie Backlash" complètement délabrée dansa quelques instants au gré du vent ; dernier témoignage d'un commerce abandonné depuis longtemps.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...