Taïka - Les Brèches du Destin

Le fils de l'étranger - partie 3

Pixx continua de cogiter sur le chemin qui séparait sa chaumine de la maison d'Aräck, mais rien ne lui revint. Il n'avait pas souvenir d'avoir fait quoi que ce soit qui mérite une réprimande ; il lui fallait donc chercher ailleurs. Son chef allait encore une fois essayer de l'enrôler, sans aucun doute.

Il tourna à l'angle d'un vieil entrepôt puis passa devant plusieurs nouvelles bicoques. Au cœur de la journée, la nature givrée, les allers-retours incessants des travailleurs et les piailleries des enfants assuraient une ambiance agréable à Selm, mais l'atmosphère se faisait bien plus pesante la nuit. Dès que les ténèbres s'étendaient sur le royaume, le village se taisait, et seules les ombres ondoyantes des quelques torches disposées à intervalles réguliers lui insufflaient un semblant de vie. Le soir venu, Selm était morne. Et le calme ambiant permettait de mieux se rendre compte du piètre état du village, que le manteau de glace ne parvenait plus à dissimuler. Tout le long de son chemin, Pixx croisait des maisons vétustes qui côtoyaient des cabanes brimbalantes. Toutes menaçaient de s'écrouler à chaque coup de vent. Un peu plus loin, des morceaux de charrette moisis jonchaient un jardinet à l'abandon. À côté, un ancien puits condamné servait de nid pour quelques corbeaux audacieux. Ils croassèrent en chœur lorsque le jeune homme leur fit l'affront de s'approcher d'eux d'un peu trop près. À Selm, tout semblait hors de fonction, usé par le temps, fatigué par les années de rébellion. Plus loin encore, une clôture de bois vermoulu, à laquelle il manquait de nombreux piquets, entourait une bâtisse plus imposante que les autres, mais tout aussi vieillotte.

Soudain, on le héla.

Sur le seuil de la porte, Aräck lui faisait signe de s'approcher. Pixx déglutit bruyamment. L'homme était grand et bien bâti, mais son âge trop avancé le faisait davantage passer pour un vieux sage que pour un rebelle prêt à porter le fer et les flammes dans son royaume. Brun de poils, avec des sourcils broussailleux démesurés, il portait une moustache aux bouts arrondis. Son visage carré, rude et mutilé par endroits, faisait écho aux batailles qui avaient jadis ravagé l'ouest de la péninsule. Une tunique gris perle, ample et confortable, venait quelque peu adoucir l'image bourrue qu'il renvoyait. Il s'écarta de sa porte en claudiquant et somma Pixx d'entrer.

L'intérieur de la maison ne payait pas de mine et ne comprenait même qu'une seule pièce, vaste mais vide ; seule une table d'apparence robuste, entourée de quatre tabourets, occupait l'espace. Dans les coins les plus éloignés de la porte d'entrée, deux épais tas de paille recouverts d'une petite couverture faisaient office de lit. Dusack, le dos appuyé contre le mur non loin d'un des lits, avait l'air ailleurs, fatigué, le regard terne, comme s'il était présent plus par obligation que par réelle volonté. À côté de lui, sa brigandine pendait sur un support en bois. Pixx sourit. Il se rendit compte qu'il n'avait jamais vu Dusack sans son armure. Le guerrier d'ordinaire si impressionnant avait une allure beaucoup moins féroce quand il était vêtu d'une simple chemise de lin. 

Aräck claqua des doigts pour que Pixx cesse son inspection.

— Je vais être direct, lâcha-t-il d'une voix mordante tout en l'invitant à s'asseoir. Tu n'es pas sans savoir que ma femme a disparu depuis plus d'une lune. Ces derniers jours, j'ai remué ciel et terre pour tenter de la retrouver, sans succès.

Pixx s'installa sur un tabouret, pendant qu'Aräck commençait à décrire des cercles irréguliers autour de la table, en boitant légèrement. Divers parchemins roulés traînaient pêle-mêle sur le plateau.

— Nous avons eu du nouveau, aujourd'hui. Un renseignement d'un groupe de l'est. Une liste de prisonniers a fuité. Le sceau des Paladins y est apposé, ce qui tend à prouver son authenticité. Parmi de nombreux autres, le nom de "Rose Makür" y apparaît.

Il jeta sur la table un nouveau parchemin, plié en quatre cette fois-ci. Pixx devina qu'il s'agissait de ladite liste de noms.

— Cette information est venue confirmer mes craintes. Les détachements se faisaient rares sur les terres de l'ouest, mais la reconquête est en marche. Rose a peut-être croisé la route de soldats, du côté de Nacris par exemple. La situation a dû mal tourner.