« Tu as une histoire à me raconter lorsque cette bataille sera terminée, ne l'oublie pas. »
La phrase résonna en écho dans son esprit tandis que l'image fugace d'une petite fille alitée lui serrait le cœur.
Elle releva le menton en luttant contre les larmes qui lui brûlaient les paupières, puis lâcha la corde. La flèche siffla dans la nuit ; sa pointe vint se ficher dans l'épaule de Pixx avec un bruit sourd. Il bougea à peine sous l'impact. Sans ciller, il tourna lentement la tête et regarda l'empennage frémir tout près de son visage. Le sang se mit à couler en filets le long de ses vêtements, mais il n'émit ni halètement animal, ni grognement furieux. Son esprit ne distinguait plus rien, ne ressentait plus la douleur. L'adrénaline coulait à flot dans ses veines. Isélia le savait très bien, à cet instant précis, Pixx n'était plus.
Taïka rabattit son regard bestial sur elle ; ses yeux coruscants la percèrent jusqu'aux os. Et le temps s'immobilisa l'espace d'un soupir où ils restèrent ainsi figés, à se dévisager en silence. Avec une profonde défiance marquée sur leurs traits. Comme s'ils s'étaient connus dans une vie antérieure, la haine et le ressentiment semblaient resurgir. Les souvenirs se mêlaient au vent de glace de la plaine, battaient leur visage par rafales, voletaient entre eux comme autant de cendres du passé. Une main crispée posée sur sa cuisse, Isélia serra les dents à s'en fendre l'émail.
— Un jour, tu paieras pour ça. Je te le promets.
En réponse, il chargea, vif comme l'éclair malgré son corps émacié. Une course poursuite s'engagea alors entre le prédateur et sa proie. Isélia pivota sur ses talons et se rua vers l'entrée de l'Épine, où se trouvaient les soldats et rebelles survivants. Elle courut, courut encore, courut toujours plus vite ; bien plus vite qu'elle n'avait jamais couru de sa vie. Ses jambes menaçaient de céder, le martèlement dans sa poitrine se faisait de plus en plus douloureux, le froid glacial s'immisçait dans ses chairs, mais elle n'en avait cure. Seule sa survie comptait. Elle bondit par-dessus une congère et se réceptionna en une roulade maîtrisée, avant de reprendre sa course effrénée sans se retourner. Derrière elle, la bête gagnait du terrain en poussant avec force sur ses membres inférieurs. La jeune femme entendait son feulement rageur, ses grognements sauvages, son souffle de mort. Tout à coup, des mâchoires claquèrent dans le vide au ras de ses oreilles, puis un bras - devenu patte de chimère pourvue de griffes acérées - manqua de l'attraper par la nuque. Elle était là. Dans son dos. Trop rapide pour elle.
Sans réfléchir, Isélia fit volte-face, se projeta en arrière et s'affala délibérément au sol. Son dos s'enfonça dans la neige molle. Emporté par son élan, Taïka ne put s'arrêter ; il passa au-dessus de sa proie à la faveur d'un nouveau bond démesuré. La rebelle joignit les mains au même instant. Aussitôt, un éclat nacré jaillit entre ses phalanges et vint percuter le ventre de la bête, qui fut propulsée en l'air comme un fétu de paille. Après une vrille incontrôlée, elle s'écrasa lourdement au sol dans une gerbe de neige poudreuse.
Isélia se releva avec peine. Des traînées lumineuses blanchâtres s'échappaient de l'extrémité de ses doigts. Les Célestes n'étaient pas que des guérisseurs, leur magie pouvait s'avérer aussi destructrice que celle des possesseurs d'Éléments plus communs. Pour autant, cette débauche de puissance n'était pas sans conséquence. Elle haletait comme un gibier épuisé par la traque et tremblait des pieds à la tête. Sur son visage, la sueur se mêlait aux gouttes de pluie toxiques qui continuaient de tomber sans relâche. Elle toussa à s'en déchirer gorge et poumons, cracha un petit caillot glauque. À chaque nouvelle quinte, une écume sale se formait sur ses lèvres. Le poison saturait déjà ses bronches.
— Allez ! hurla-t-elle dans un sursaut d'énergie. Relève-toi ! Je sais qu'il t'en faut plus que ça !
Non loin, Aräck arrêta de porter des attaques, intrigué par les bruits qui secouaient la nuit depuis plusieurs minutes. Mallyn l'imita et tous deux se tournèrent d'un même mouvement vers les entrailles de l'Épine. Autour d'eux, les soldats et derniers rebelles survivants se tenaient en cercle et leur formaient une arène dont seul le vainqueur pourrait s'extraire. Un odieux spectacle commandé par la cruauté la plus barbare. Le théâtre de la haine, l'ultime horreur d'une bataille sanglante qui n'engendrerait aucun héros.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasi« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...