Château d'Aredhel, Renaissance, an 127. Matinée.
Shura entra dans une salle de réception richement décorée, sans même prendre le temps de frapper. Fresques aux voûtes, fenêtres en vitraux de couleurs, boiseries peintes et tableaux sur les murs conféraient à la pièce une élégance toute classique, qu'on retrouvait partout dans les plus luxueux quartiers du château. Les fastes royaux, le raffinement et l'abondance de parures s'affichaient de manière ostentatoire. Et qu'importe si la plupart des habitants d'Aredhel devaient se contenter d'une vie rustique. Le fossé abyssal entre les plus pauvres et les plus riches de la cité-mère n'émouvait plus personne depuis bien longtemps.
Debout le long d'une table immense où trônaient les restes d'un récent festin, Zaak attendait, un masque d'inquiétude plaqué sur le visage. Sur le plateau s'entassaient les pichets de vin, les pâtés entamés et les corbeilles de fruits. Mais le Paladin ne semblait pas d'humeur à festoyer. Il inspectait chaque pièce de son armure, chaque jointure comme s'il craignait qu'une lame adverse puisse s'y enfoncer. Il souffla pour se calmer et passa une main nerveuse dans ses cheveux châtains en bataille.
— Qu'est-ce que tu fais ? attaqua Shura d'une voix impérieuse, en refermant la porte derrière lui. Ils t'attendent. Même Sola est aux premières loges, prêt à voir sa nouvelle recrue briller.
— Tu parles ! cracha-t-il en prenant appui sur la table. Je me demande si au fond, il n'espère pas que je subisse une déroute. J'ai l'impression qu'il ne m'apprécie pas plus que ça. Il passe son temps à m'humilier, à se foutre de moi et maintenant il m'envoie au casse-pipe.
Shura leva les yeux au ciel avec un petit air désespéré. Il épousseta son armure dorée pourtant reluisante - une vieille manie dont il ne parvenait pas à se défaire -, puis contra d'un ton sec :
— Ne dis pas ça. Il est brutal, sans humanité diront certains, excentrique, voire complètement dément selon les avis. Et tout ça est accentué car tu n'es parmi nous que depuis peu. Certaines trahisons passées l'obsèdent encore aujourd'hui. Il faudra du temps avant que tu sois un vrai Paladin à ses yeux.
Sans laisser le temps à son interlocuteur d'émettre des objections, il continua son monologue en se postant devant une fenêtre, l'œil rivé sur l'extérieur :
— Il y a une chose qu'on ne peut pas lui retirer. Tout ce qu'il entreprend, c'est pour assurer sécurité à ses sujets, et prospérité à la péninsule. Cette mission qu'il t'a confiée est un premier pas vers la confiance qu'il t'accordera peut-être un jour. Il ne veut pas ton humiliation. Il veut éprouver ta loyauté.
Zaak fronça les sourcils. Il ne savait que penser de son maître. Au-delà de sa folie évidente, il le voyait surtout comme un inconscient. Il prenait tout à la légère et affichait une désinvolture effrontée, indigne du rang qu'il occupait. Les railleries continuelles qu'il lui infligeait achevaient de semer le doute quant à sa légitimité. Pour autant, lors des rares moments où il se montrait sérieux et grave, il dégageait une autorité incontestable. Il savait incarner la puissance, le pouvoir et le danger imminent, mais préférait souvent se réfugier derrière une irrévérence joyeuse. Tel un enfant insolent qui détiendrait les clefs de son royaume sans en mesurer l'importance.
Refusant de rebondir, le jeune Paladin fit mine d'à nouveau vérifier son armure, comme s'il allait soudain y trouver un défaut de forgeage qui lui permettrait de se dérober à sa mission. Puis, il se mit à tourner en rond et ruminer ses pensées tout en laissant errer son regard dans le vague.
— Je pense que j'ai encore besoin de cinq minutes...
Shura se retourna vers son égal et croisa les bras.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...