Leurs pas lourds claquaient contre les luxueux carreaux de marbre et résonnaient en de lointains échos. Le cliquetis de l'armure d'ébène de Zaak accompagnait chacune de ses foulées. Ils marchaient depuis plusieurs minutes dans un couloir grisâtre, où les gardes brillaient par leur absence. Situé dans une aile du château abandonnée que le jeune Paladin n'avait jamais parcourue, l'endroit était sinistre, silencieux et envahi par une odeur de moisissure forte et piquante. Il y régnait une étrange atmosphère, étouffante, emprunte de mysticisme, si bien que la sueur perlait sur son front. Il n'aurait jamais imaginé qu'une telle angoisse puisse l'étreindre au sein même du château d'Aredhel. Alentour, tout semblait figé dans le temps, sans vie, sans mouvement, comme une relique d'une lointaine époque oubliée.
— Où allons-nous ? demanda-t-il, fébrile.
— Silence ! répondit l'homme en jaque devant lui, avant de hâter le pas.
Ils arrivèrent près d'une porte blanche décorée d'arabesques où les feuillages, les fleurs et les fruits s'enroulaient et se déroulaient avec poésie. Solafein joua de ses doigts et dessina une clef dans l'air, qui se matérialisa soudain en un petit bloc de glace ciselé. Il la glissa dans la serrure givrée qui bloquait les battants ; un bruit cristallin se fit entendre, puis ils s'ouvrirent en silence, comme si leurs vieilles charnières avaient été huilées pour l'occasion. Une épaisse fumée blanche s'échappa des entrailles de la salle, couvrant les deux hommes d'un manteau de brume.
Solafein s'y engouffra sans attendre, suivi de près par son Paladin, légèrement rassuré par le calme des lieux. À l'intérieur, la lumière du jour filtrait à peine à travers les barreaux d'une fenêtre et projetait un rai de lumière pâle sur une vieille table hexagonale qui occupait son centre. Tout autour d'elle, des chaises renversées et couvertes de toiles d'araignées jonchaient le sol, tapies dans la pénombre. Sombre et froide, la pièce dégageait néanmoins un parfum d'éternité, presque apaisant.
— Sais-tu où nous sommes, Zaak ?
L'écho de sa profonde voix se répercuta longuement contre les murs rugueux, avant de monter dans le vide de la coupole centrale. Portée par quatre demi-coupoles, elles-mêmes soutenues par des colonnes de grès disposées en cercle, elle était couverte de peintures à fresque représentant des scènes de guerre à la gloire des Paladins. La plus imposante montrait une armée de soldats en armure bleu ciel et blanche, auréolés d'un halo de lumière chaude, fondre sur d'immondes bêtes à tête de taureau enveloppées d'une aura ténébreuse.
— Une ancienne salle de conseil ? répondit le jeune homme en la parcourant d'un regard vide.
— Tout juste, confirma Solafein. La seule et unique. Tous nos prédécesseurs, de Khàn à Sköld, en passant par la petite Hilfy, tous ont siégé ici. Les décisions qui ont forgé l'histoire de notre péninsule ont été prises dans cette salle. Je peux encore y sentir le parfum de grandeur et d'héroïsme propre à nos ancêtres. Quand je suis devenu Paladin, je devais avoir aux alentours de ton âge. J'avais mon siège à cette table. Douce époque où les menaces n'intimidaient pas les hommes courageux.
— Où voulez-vous en venir ? s'impatienta Zaak, indifférent face à ces histoires d'un passé révolu.
— Regarde mieux. Dis-moi ce que tu vois.
— De la poussière, ironisa-t-il. Des meubles vieillots, des...
Il leva le nez et découvrit des chauves-souris qui nichaient dans l'enfoncement du dôme central. À côté d'elles, une partie de la voûte noircie et goudronnée de suie retint son attention, si bien qu'il inspecta avec plus de soin le reste de la pièce. Au niveau des fenêtres, un reste de rideau en soie claquait contre une vitre brisée comme s'il tentait de s'échapper. Des pans de murs s'effritaient, un tapis de débris s'agglutinait au pied des parois et marinait dans une bauge infecte et sanglante. D'énormes fissures veinaient les carreaux de marbre à peine visibles, gondolés par endroits, similaires à la surface d'un étang froissée par un coup de vent. La salle n'était pas simplement usée par le temps, mais semblait avoir été dévastée par un cyclone ardent ou un tremblement de terre.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasi« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...