Un convoi de centaines de cavaliers et fantassins, sous les ordres du jeune Zaak, traversait la cité. Ils avançaient au petit pas, en rangées de cinq, dans les larges allées de la ville-haute. Les étendards claquaient dans la brise tandis que le tambour battait la marche. Partout, les oriflammes rouge carmin frappés des emblèmes du royaume se gonflaient, se tordaient et se déployaient pour donner du courage aux guerriers. Tous les chevaliers se tenaient immobiles sur leurs selles comme autant de statues, l'éperon au flanc. Leurs gigantesques destriers blanchissaient l'air matinal de leurs souffles puissants.
Derrière eux, une cloche sonnait à toute volée et leur envoyait un adieu mélancolique. Les notes flottaient au-dessus des têtes comme une mélopée funèbre, avant d'être absorbées par les murs des bâtisses. Depuis le lever du soleil, ici comme derrière les murailles du château, l'effervescence étouffait le silence du roi.
Une armée de lumière, de vérité et de justice, se dirigeait vers l'ennemi, sous les yeux ébahis des badauds et des gamins. Plus habitués à voir leurs soldats brutaliser les soûlards ou traquer les malandrins, ils ne pouvaient que s'émerveiller devant un tel cortège. Certains s'inclinaient respectueusement, d'autres tendaient le poing, d'autres encore s'agenouillaient en signe de vénération. Pour eux, l'armée était garante de leur sécurité, de leur liberté et de l'indépendance de la péninsule. Les hommes partaient en guerre pour défendre leur sang. Quelle que soit la nature de la menace, les défenseurs d'Aredhel allaient vaincre et leur tracer un destin heureux.
Loin d'être impressionnée par ce défilé militaire, Nellea - qui abandonnait le nom d'Aïsena dès qu'elle pénétrait dans la cité royale - se frayait un chemin entre les curieux. Elle remontait l'artère principale de la ville-haute, en direction de sa chaumière ou des portes du château. Sa grâce naturelle et l'impression de douceur qu'elle avait l'habitude de dégager n'étaient plus. Une indifférence glaçante plaquée sur ses traits, elle n'accordait pas un regard à la populace amassée de part et d'autre. Les éloges et encouragements abondaient, mais ne retentissaient pas à ses oreilles. Enfermée dans une bulle infrangible, froide et sans vie, elle s'était coupée du monde extérieur et marchait par automatisme plus que par volonté. Seule sa robe aux reflets grenat rehaussait sa pâleur laiteuse, accentuée par l'absence de tout maquillage. Son teint d'ordinaire rosé et frais avait viré à la blancheur cadavérique.
Sur son chemin, elle bousculait des passants sans prendre le temps de s'excuser. Les reproches et les insultes fusaient à son encontre, mais ne faisaient que rebondir sans effet sur sa carapace invisible. Elle avait la démarche et l'attitude d'une marionnette guidée par les ordres d'une puissance supérieure, hypnotisée par une vision maléfique. Rien ne semblait pouvoir la perturber.
Elle avança ainsi au milieu de la foule de longues minutes durant. Jusqu'à ce qu'un mot tinte dans son crâne, au milieu du brouhaha confus, et la sorte de son envoûtement. Un mot qu'elle n'avait plus entendu depuis longtemps. Un mot qui résonna en écho dans ses pensées. Taïka.
Elle s'arrêta net, comme frappée par la foudre, et tourna lentement la tête, jusqu'à découvrir un groupe de cinq personnes en tuniques sombres de cérémonie. Elles offraient un surprenant spectacle, perchées sur une estrade de bois surélevée, installée ici pour la circonstance. Prosternées au sol comme si elles priaient, quatre d'entre elles récitaient des chants indistincts à la gloire d'un dieu méprisé du plus grand nombre.
Taïka.
Derrière elles, le cinquième énergumène, probablement encore plus possédé que ne l'était Nellea, prêchait des sermons auxquels nul ne prêtait attention, tout en agitant un livre épais à la couverture vieillie.
— Partez donc au combat ! Ô Infidèles ! Ô Impies ! Vous n'y trouverez que le déshonneur et la honte. Proche est le jour où les griffes de Taïka s'abattront sur vous ! Son armée cauchemardesque déferlera céans et emportera avec elle les mécréants. Enfants de Dieu, souvenez-vous ! Souvenez-vous des ravages semés par son fidèle Alacanth !
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasía« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...