D'abord, ce fut le silence d'un aédelfien figé par la peur. Puis il se pencha vers Ilfenn. Et la dévisagea de longues secondes, interdit, se demandant s'il avait bien entendu.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ? lui lança-t-il enfin d'une voix défaillante.
— Nellea me l'a dit quand on remontait vers la surface, poursuivit-elle en se redressant sur ses coudes. C'est ce Ranks et son groupe de révolutionnaires Neuf Etoiles qui ont libéré Alacanth pour se venger des hommes en les engloutissant dans une mer de feu. Je n'en sais pas plus.
Une violente émotion le prit à la gorge. Comme une main qui étrangle sans coup férir. Les yeux hagards, les lèvres tremblantes, il demanda :
— Ranks... est en vie ?
Il chancela à cette idée, voulut se retenir à quelque appui. Sa main rencontra un dossier de chaise et s'y agrippa. Il y eut un silence. Puis un sanglot de panique, retenu depuis des années peut-être, manqua de l'étouffer. Pixx et Ilfenn se regardèrent avec une inquiétude croissante avant de poser leurs yeux sur lui.
Et soudain, tout ce qu'il n'avait pas voulu voir lui apparut comme seule la vérité sait apparaître au moment où elle est la plus malvenue. Alors que l'évidence s'enfonçait droit jusqu'au fond de son âme, ses traits se déformèrent sous la surprise, le choc, la terreur, puis se figèrent en un hurlement silencieux. Tous ces soldats qui criaient vengeance au cœur d'Aredhel, ces aédelfiens qui combattaient comme des lions, sans se soucier d'aucun péril. Il les avait vus. Il les avait parfaitement vus. Mais sur le coup, l'effroi l'avait empêché de comprendre.
— Je n'en sais pas plus, reprit la jeune femme. Je suis désolée.
Les yeux brillants, le front baigné de sueur, les tempes martelées, les oreilles bourdonnantes, il porta la main à son cœur pour essayer d'en maîtriser les battements affolés. Son monde venait d'être mis sens dessus dessous. Encore une fois. Et avant que Pixx n'ait le temps de réagir, il se retourna d'un bloc, ouvrit la porte et sortit à pas précipités, comme s'il avait besoin d'air frais pour respirer de nouveau. Le battant de bois vermoulu se referma à demi derrière lui. Des jurons et des protestations angoissées dans une langue inconnue éclatèrent aussitôt au-dehors.
— Est-ce que j'ai dit quelque chose de mal ?
Les sangs se glacèrent tandis qu'un grand cri, venant du plus profond des entrailles de l'aédelfien, déchirait l'air. Un cri terrifiant, en forme de rugissement, jaillissant de ce point où l'espoir et le désespoir s'entremêlent, où la vie et la mort se rejoignent ; le cri du frère blessé, du frère trahi, le cri du frère seul face à sa fraternité brisée.
Puis le silence. Ce silence qui étouffe les cris et les appels à l'aide.
Après plusieurs secondes d'une attente oppressante, Pixx quitta la porte du regard pour aller le poser sur Ilfenn. Elle tremblait toujours et était à l'évidence épuisée, mais elle avait retrouvé un peu de vigueur, malgré l'absence de Céleste pour soigner ses blessures.
— Qui es-tu ? Comment sais-tu tout ça ?
Assise sur son lit, elle renifla avec bruit comme jamais une jeune fille de bonne famille n'aurait osé le faire.
— Nellea est morte, hein ? demanda-t-elle d'une voix tremblante, les yeux baissés sur sa couverture. Elle est morte. Cette bête l'a bien tuée.
Il ne prit même pas la peine de relever, incapable de faire le lien, sur le coup, avec la Nellea qu'Isélia était venue chercher à Aredhel. Il se contenta de scruter son visage livide, ses cheveux blonds secs et ternes, les incisions sur ses joues creusées par la faim, et surtout ses étranges cicatrices formant le mot Vengeance en travers de son front. Les stigmates de sa captivité resteraient gravés en elle à jamais.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...