Alentours d'Aredhel, Renaissance, an 127. Matinée.
Une forte rafale de vent souleva feuilles mortes et papiers divers, les emportant en un ballet vertical qui se perdit dans le feu du soleil déjà haut et ardent. Le galop feutré d'un petit animal accompagna les bourrasques, et bientôt les pattes potelées de Dräk l'écureuil écrasèrent de tout leur poids un vieux parchemin qui traînait dans la boue.
Aredhel la Grande. Aredhel la Prospère, pouvait-on y lire. L'indestructible joyau, l'étincelle dans l'obscurité, l'espoir face aux insurgés, le rempart contre les Drëths. Le pouvoir ne manquait pas de qualificatifs lorsqu'il s'agissait de dépeindre sa précieuse Aredhel et les décisions qui y étaient prises. Annonces publiques, prospectus variés et autres parchemins, souvent distribués à des gueux qui n'en avaient cure, présentaient ainsi la ville, encensaient les récentes actions des Paladins et vantaient le rôle de l'armée dans la protection du royaume. Toute cette propagande à peine dissimulée avait pour unique but de jeter des louanges sur le roi et son conseil ; même si « la ville » était toujours adroitement mise en avant, plutôt que « le roi ». Comme s'il fallait remercier la cité. Ou en tout cas se réjouir d'y vivre. Et ne surtout pas remettre en question le pouvoir qui la gérait.
L'indestructible joyau. Nellea sourit en relisant ces mots. Assise sur un tronc mort à l'orée d'un taillis de noisetiers, elle détacha ses yeux du parchemin et admira la lente progression des nuages dans le ciel. Dräk, de son côté, grimpa à côté d'elle d'un bond vigoureux et dévora la jeune femme de son regard coquin et attentif. Habitué au brouhaha du faubourg, il se méfiait peu de la présence humaine, tout du moins lorsque ses réserves de nourriture n'étaient pas en jeu.
Elle baissa les yeux mais ne lui accorda guère plus d'attention. L'animal continua de la fixer d'un air impatient, poussa un petit cri et agita sa queue touffue. De sa main pâle et effilée, Nellea entreprit enfin de le caresser mais il recula soudain, comme s'il avait été piqué, et se mit à siffler avec dédain. Elle stoppa son geste et médita quelques instants, alors que le vent s'engouffrait sous sa longue robe rouge et mordait sa peau avec acharnement.
— Tu as compris, toi, hein ? lui murmura-t-elle tout bas.
En guise de réponse, l'écureuil battit de la queue de plus belle, avant de détaler et de s'évanouir dans un tourbillon de poussière soulevé par une rafale. Elle soupira et se mordit la lèvre. Son odeur l'avait peut-être trahie. À moins qu'il n'ait pu lire ses noirs desseins dans ses yeux pourtant si clairs.
Elle chassa ces idées et cessa de s'apitoyer sur elle-même quand elle entendit s'approcher les roues d'une charrette. Elles grinçaient de façon assourdissante sur les pavés disjoints du chemin. Faron, le messager qui recevait toutes les lettres de l'ouest puis lui transmettait, venait la rejoindre après une longue matinée de labeur. Il s'arrêta à côté d'elle et ôta son capuchon défraîchi, révélant son visage blafard. Un timide sourire vint fleurir sur ses lèvres desséchées et égaya quelque peu son triste portrait.
— Je me suis inquiété pour toi ! lança-t-il d'un air faussement fâché.
— Je vais bien, le rassura-t-elle. Je m'en sors toujours, tu le sais.
Elle tapota sur le tronc qui lui servait de banc pour faire signe à son rebelle de la rejoindre. Embarrassé, presque pris de honte face à l'élégance de sa jeune cheffe, il épousseta la terre de sa piètre tenue de travailleur et arrangea ses cheveux avant de s'exécuter.
D'ici, ils pouvaient admirer les plaines verdoyantes qui entouraient Aredhel ou profiter de toute l'effervescence du faubourg. Non loin d'eux, des enfants couraient, hurlaient, s'insultaient et poussaient un tonneau vide qui roulait comme le tonnerre sur les cailloux. Pour s'amuser, ils tentaient de l'envoyer sur des pauvres vaches condamnées à fuir devant la menace. Faron les observa avec consternation, mais la discussion s'engagea bien vite sur les événements récents plutôt que sur la beauté du paysage ou la cruauté de gamins livrés à eux-mêmes.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...