La Vengeance de Ranks - partie 4

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Les yeux de Shura s'agrandirent sous le choc de la surprise. L'étau glacé qui comprimait sa poitrine depuis des années déjà se referma soudain autour de son cœur. Il avait enfin obtenu la confirmation qu'il attendait. Le coupable était un homme. Le responsable de la chute de son peuple était bien un homme. Pire encore, un Paladin.

— Une tragédie dont l'Ordre ne pouvait pas se vanter, continua Solafein d'une voix voilée par l'émotion. Alors, oui. Tu as raison. J'ai fait en sorte d'effacer ce pan de l'Histoire. J'ai jugé qu'il était plus pertinent de faire croire qu'Alacanth n'était qu'un démon des territoires inconnus plutôt que de remuer les cendres d'un événement dont les ombres pouvaient fissurer le royaume tout entier. L'oubli aide à vivre ; il faut que l'homme oublie pour qu'un semblant de bonheur puisse enlacer sa vie.

Il parlait avec une apparente sincérité qui aurait persuadé l'homme le plus défiant. Mais Shura n'en avait plus cure désormais.

— Les aédelfiens n'ont pas oublié, eux ! tempêta-t-il d'une voix méconnaissable tant elle était brisée. 

Il aurait dû lui demander des explications. Des justifications à l'injustifiable. Pour essayer de comprendre plutôt que de s'abandonner à la haine. Il aurait dû. Mais la rage l'emporta. Alors il s'élança, l'épée haute, en poussant un cri de guerre. Solafein ne bougea pas, ne se retourna pas, comme s'il acceptait le sort qui lui était réservé avec sérénité, comme le coupable accablé par les remords accepte son châtiment pour se repentir. Tout juste plongea-t-il ses yeux dans ceux de Nellea, qui était restée devant lui, tétanisée, tout le long de leur discussion.

La seconde suivante, Shura le frappa à la nuque avec toute la violence dont il était capable, dans l'espoir de transpercer la jointure de son armure. L'acier tinta comme un glas. Mais il ne vit pas même s'ébaucher sur le métal la moindre entaille, malgré la puissance du coup qu'il venait de porter ; un coup qui aurait pu décapiter n'importe quel autre adversaire. Il lâcha un chapelet de jurons. Une fine couche de glace recouvrait toute l'armure de Solafein. Une carapace bleutée aux reflets métalliques. Il se reprit, jura contre lui-même cette-fois, enflamma son épée et l'abattit de nouveau sur son maître. Nellea se recroquevilla, hurla sa terreur dans un gémissement aigu tandis que le vengeur frappait et frappait encore, aveuglé par la rage. Les flammes jaillissaient sans relâche mais ses coups ne lui rendaient qu'un son cristallin, comme si la glace enveloppant le Paladin était faite de cristaux indestructibles.

— Et à la fin, c'est toujours une histoire de Glace et de Feu, marmonna Solafein, sans s'émouvoir des attaques de son Paladin. C'est pathétique. Tous ceux qui me haïssent ont choisi le feu. Si tu savais comme ce manque de personnalité me frustre et m'attriste.

Quand Shura s'arrêta de frapper pour reprendre son souffle, il ne put que constater son impuissance. Sur l'armure de glace de Solafein, il n'y avait pas la moindre marque de ses coups. Pas même une rayure. Ses assauts étaient inutiles. Il savait pertinemment qu'il n'avait aucun espoir de vaincre un tel monstre dans un duel régulier. Mais il se croyait au moins capable de le ralentir, voire de le blesser. À tort.

Statique et stoïque, Solafein lui tournait toujours le dos comme à une chose sans importance. Il eut d'abord un soupir las, puis il poursuivit avec amertume :

— J'ai décidé d'endurer ce fardeau, de porter seul le poids de tous ces souvenirs. Tu as raison, Shura. Je façonne l'Histoire à ma façon, en effaçant dans mes récits les Brèches du Destin formées par ces bâtards. J'essaie de diluer l'horreur qu'ils répandent, dès que c'est possible. Pour préserver mes sujets. Pour soulager leurs cœurs. J'embellis l'Histoire car ils m'y obligent. Je lui rends sa forme pure, celle qu'elle aurait dû avoir s'ils ne l'avaient pas corrompue. Je n'altère les faits que pour l'intérêt de la paix, de la stabilité de la péninsule et de la quiétude de chacun. Je ne veux pas que les hommes découvrent le monde que cette funeste famille est en train de nous façonner. L'illusion apaise. La vérité, elle, détruit les rêves. Et j'aime à penser qu'il est préférable de laisser les hommes rêver. Au moins tant que les créateurs de chaos seront.

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant