Caprice empoisonné - partie 3

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Une main, ou quelque chose, qui le renversait, l'attrapait, le soulevait et l'emportait dans un fracas de pierres dégringolant, sans qu'il ne puisse réagir. Puis le néant. Voilà tout ce que Pixx crut ressentir, juste après que son bouclier de givre ne se soit évaporé. 

Lorsqu'il reprit possession de ses sens, il découvrit avec effroi que des ronces démesurées s'étaient enroulées tout autour de lui et le maintenaient bloqué contre le tronc d'un sapin. Elles comprimaient son torse fluet et ligotaient ses épaules chétives. Les pointes aiguës des épines perçaient sa chair, si bien que du sang coulait à grosses gouttes de ses blessures et souillait la neige à ses pieds. 

Les craintes qu'il croyait excessives venaient de devenir réalité. Les Échardes l'avaient emprisonné. Il releva la tête, mais ne vit rien de plus qu'une trouée dans les arbres devant lui. Une rivière de glace dérisoire louvoyait entre les sapins aux branches tordues et se perdait dans le lointain. Le voile noir qui brouillait sa vue l'obligea à se satisfaire de cette analyse sommaire. 

Tout près de lui, des cloches sonnèrent, puis des pas feutrés firent craquer la neige. Il tressaillit de peur. Quelqu'un venait vers lui. Quelqu'un ou quelque chose, à coup sûr à l'origine de cette folie végétale. 

Alors qu'il nageait dans la confusion, une fillette émergea de derrière un bosquet et avança au hasard en exécutant une série de pas dansés. Un frisson courut le long de l'échine de Pixx lorsqu'il découvrit sa silhouette. En partie masquée par la pénombre, elle ressemblait néanmoins à celle de Maud, la petite fille qui adorait passer du temps avec lui à Selm. Il cligna plusieurs fois des yeux, intrigué, mais sa vue resta floue. Il secoua la tête pour recouvrer ses esprits et chasser cette idée saugrenue. Elle ne pouvait pas se trouver dans les Échardes. Cela n'avait aucun sens, et il se demanda s'il n'était pas victime d'hallucinations. 

Vêtue d'une longue tunique de lin menthe et noire, elle se déplaçait avec grâce et souplesse à quelques mètres de lui. Une large ceinture des mêmes teintes enlaçait ses reins, et de grosses boucles brunes encadraient son visage d'enfant. Des clochettes aux reflets cristallins pendaient en divers endroits de sa tenue, sans aucune logique apparente, et tintinnabulaient au rythme de ses pas. Derrière elle, une ronce chétive remuait et s'engouffrait sous la petite traîne de sa tunique. Elle semblait agrippée au pied ou au mollet de sa maîtresse, tant ses mouvements ondulants épousaient ses foulées. 

— Brèches, fredonna-t-elle, guillerette, en continuant sa valse solitaire. Maître Décybel ne va pas être contente si on joue avec le destin. 

Pixx écarquilla les yeux et se concentra pour essayer de comprendre à qui elle parlait, mais devina bien vite qu'elle chantonnait pour elle-même. Elle enchaîna avec une pirouette élégante avant de se mettre à sauter à cloche-pied sans raison, comme prise de démence. Le jeune homme haussa un sourcil blond foncé, partagé entre l'amusement et la perplexité face à cette scène loufoque. 

Les chaînes aiguisées qui l'emprisonnaient chatouillèrent ses plaies et le ramenèrent à la réalité. Il grimaça et tenta par réflexe d'y porter les mains, en vain. Peu convaincu qu'une petite fille puisse être à l'origine d'une telle sorcellerie, et surtout sans véritable autre alternative, il se lança : 

—Toi ! la héla-t-il en lui jetant des regards blêmes mais insistants. Aide-moi ! Je t'en prie ! 

Sur ces mots, la ronce qui ceinturait son ventre se serra si fort qu'elle lui ôta presque la respiration. Les épines entaillèrent sa peau de plus belle, lui arrachant des cris étouffés. On eût dit qu'elle avait entendu ses supplications et décidé de redoubler d'effort pour anéantir ses espoirs. 

Il jura entre ses dents tandis que la gravité de la situation s'imposait à lui. Privé des protecteurs sur qui il comptait, il sentit que le désarroi et la terreur rongeaient son esprit. Et cette fillette fantasque digne d'un conte pour enfant ne faisait qu'attiser sa panique. Pour la première fois de sa médiocre existence, il devait s'en sortir seul. Mais l'unique personne à proximité ne semblait que peu intéressée par ses problèmes. Elle continuait de se dandiner et ne montrait aucune volonté à lui apporter une quelconque aide. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant