Une épine de la taille d'une main lécha la veste de Pixx et manqua de peu d'agrandir les trous déjà béants de ses oripeaux. Habillées de neige et de glace, des ronces titanesques s'entremêlaient tout autour de lui en un lacis inextricable. Leurs longs piquants d'un noir d'encre défendaient avec rage l'accès à la base rebelle - mais surtout à tout l'ouest de la péninsule -. Seul un chemin obscur, étroit, tout juste taillé pour laisser passer un cavalier et sa monture, se faufilait à travers la muraille naturelle.
L'espace d'un instant, le jeune homme se mit à imaginer que Caprice surgissait du néant afin de prendre le contrôle de toute la végétation à proximité. Un frisson courut le long de son échine à mesure que les souvenirs de sa douloureuse rencontre avec la petite fille refluaient à sa mémoire. Il cligna plusieurs fois des yeux pour chasser le flot d'images de son esprit. Son regard se perdit dans le sol neigeux.
Et soudain, une évidence.
Il releva la tête. Caprice était à l'origine de ce mur d'épines. Si Solafein disposait de la puissance magique nécessaire pour modifier le climat de toute une région, une Oracle pouvait sûrement, de la même manière, façonner le paysage à sa guise. Même si son jeune âge apparent n'allait pas en ce sens, Pixx supposait qu'elle avait pu participer jadis au combat contre Alacanth, puis semer ses ronces ici pour une raison que seule sa folie connaissait. Après tout, puisque les Paladins avaient remplacé les Oracles, leurs pouvoirs devaient être comparables, pensait-il naïvement.
Les gardiens de ce monde, présents ou passés, adulés ou méprisés, possédaient une maîtrise de la magie suffisante pour transformer la péninsule selon leur bon vouloir.
Il regarda ses mains, une manie qu'il ne pouvait plus contrôler depuis qu'il avait son Sceau. Le bout de ses doigts tremblait. Sous l'effet du froid, espérait-il. Il déglutit. Allait-il, lui aussi, devenir un jour capable de telles prouesses ? Et surtout, comment ses capacités - si tant est qu'il en possède - allaient-elles prendre forme à terme ? Déverser du poison sur un village entier, réduire à néant la flore de toute une zone, contaminer une rivière, empester l'air pour le rendre irrespirable, autant d'éventualités qui ne le réjouissaient guère. Plus il y songeait et plus ce Sceau du Poison lui semblait profondément inutile, tout du moins pour qui ne voulait pas semer mort et désolation.
Une violente rafale de vent répandit des flocons blancs partout autour de lui, si bien qu'il sortit de sa rêverie. Caprice et sa démence attendraient. Dans l'immédiat, Isélia était sa seule source d'informations potentielles, à supposer qu'elle cesse ses mensonges et manipulations.
Bientôt un rai de lumière se découpa dans la pénombre, puis l'amas d'aiguillons fit place à une zone plus dégagée, lumineuse, mais néanmoins toujours piégée entre les flancs des cryovolcans de Fracture. L'Épine. Une prairie ensoleillée, scintillante d'herbe givrée, cerclée de multiples ronces proéminentes, qui saillaient parfois de la montagne elle-même.
Pixx plissa les yeux pour les protéger de la clarté opalescente et mieux détailler le paysage. Çà et là émergeaient quelques tours de garde de forme ronde, faites de bois et d'acier, suffisamment hautes pour surveiller par-delà les ronciers. Des sentinelles armées d'arcs, de frondes et d'arbalètes s'y relayaient à tour de rôle. Derrière, des tentes rudimentaires, soutenues par des piquets à moitié enterrés, étaient positionnées autour de marmites fumantes. Des carcasses de chevreuils et sangliers cuisaient déjà à la broche malgré l'heure matinale. Plus loin encore, on pouvait distinguer des chaumines et même un moulin dont les voilures tournaient au vent ; probablement l'arrière-base où se rassemblaient les responsables rebelles pour prendre les décisions stratégiques.
Partout, des épines sortaient du sol et entouraient les bâtiments telles les gardiennes d'un domaine sacré. Gigantesques, majestueuses, nappées d'un givre de cristal sur lequel étincelaient les rayons du soleil, elles offraient un spectacle unique, qui conforta Pixx dans l'idée que cette folie végétale émanait de la petite Oracle. Jamais la nature n'aurait pu dessiner un lieu si harmonieux, où chaque ronce semblait avoir été placée à la main, pour protéger une tour ou défendre un campement. Il en était désormais persuadé, la végétation de l'Épine devait avoir la capacité de prendre vie si le besoin s'en faisait sentir, exactement comme il l'avait vu de ses propres yeux dans les Échardes Givrées.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasi« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...