De l'autre côté du château, dans la chambre de Solafein, l'ambiance était plus calme, même si le conseiller peinait à dissimuler sa contrariété. Depuis que son roi était alité, frappé du pire fléau que la péninsule n'eut jamais connu, il avait perdu le peu d'influence qu'il possédait. Et une fois encore, le Paladin ne l'écoutait que d'une oreille distraite, lui coupait sans cesse la parole pour le contredire, l'humilier ou bavarder de tout à fait autre chose. Autant d'affronts qui ne faisaient que fragiliser de plus belle le peu de confiance en lui qui lui restait, et expliquaient, peut-être, ses difficultés à dire les choses sans détours.
— Non ! Non, Monseigneur ! Pardonnez-moi d'insister, mais il y a autre chose. Dame Circé n'est pas venue seule ! J'étais en...
Une hésitation, un regard fuyant.
— ... en réunion d'affaires, voyez-vous, et j'ai...
Comme à son habitude, son maître l'interrompit d'un ton péremptoire :
— Tu sortais du bordel préféré de Vanhalion, celui où les porcs comme vous peuvent s'envoyer en l'air avec des jouvencelles à peine pubères. N'est-ce pas ?
Et l'hésitation du petit homme se mua en fébrilité. Il s'enlisait souvent dans des explications inutiles plutôt que d'aller à l'essentiel. Une véritable aubaine pour Solafein qui aimait s'emparer de chaque anecdote pour semer le trouble chez son interlocuteur.
— C'est... Je ne suis pas... À vrai dire, ce n'est pas important ! Mais ce qui est important, c'est que...
Soudain, les portes de la chambre du Paladin s'ouvrirent dans un chuintement, le coupant dans son élan. Une fois de plus, il ne put finir sa phrase, comme si le destin s'acharnait sur lui. Les Halcyons entrèrent dans la pièce, tout en fureur, le pas pressé. Ils se plantèrent tous deux sur le seuil tandis que les battants se refermaient derrière eux.
— Monseigneur Solafein, nous avons un problème de haute importance ! lança la femme sans considérer le conseiller ni même s'embarrasser des politesses d'usage.
— Je dirais même que nous avons une situation d'urgence ! renchérit son acolyte.
Enveloppés dans leur tunique brodée avec art, galonnée d'argent et d'étoiles d'or, recouverte d'un grand manteau, bleu pour elle, rouge pour lui, ils avaient toujours leur air de riches marchands, vêtus à la dernière mode, plutôt que d'espions du royaume.
— Qu'est-ce que c'est, encore ? s'insurgea le Paladin en se tournant vers eux. Sommes-nous dans mes appartements ou à la foire aux cochons ? C'est à croire que tout le monde veut me voir les burnes ruisselantes (1), à la fin !
Un silence gêné tomba. L'Halcyonne fit mine d'ajuster son masque de dentelle pour dissimuler l'embarras qu'elle éprouvait à cette idée. Puis elle se racla la gorge dans le poing et se lança après un échange de regards avec son partenaire :
— Monseigneur, nous sommes désolés de vous déranger mais nous avons découvert que la prétendue servante accompagnant Circé est une habitante de la ville-haute. De son nom complet Nellea Shactalare, installée à Aredhel depuis deux années. Récemment arrêtée pour une suspicion de collaboration avec les anarchistes, elle a été disculpée par Monseigneur Shura lui-même. Seule une jeune insurgée prénommée Ilfenn a alors été emprisonnée. Mais cette affaire n'avance guère : Monseigneur Shura affirme qu'elle refuse de parler, même sous sa torture.
Solafein hocha la tête, songeur, devant ce flot d'informations imprévues.
— Shura a innocenté une gosse qui collabore avec les Oracles ? Et il n'arrive pas à faire parler une stupide gamine ? Intéressant.
VOUS LISEZ
Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasia« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...