« Elfinéa » - partie 2

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La nuit couvrait la vallée de son aile sombre. Seul un feu de camp dont les flammes dansaient avec vigueur illuminait les visages songeurs, rompus de fatigue. Zalma taillait sans pitié une branche avec une petite dague qu'il gardait d'ordinaire sous sa chemise, comme s'il cherchait à en faire une flèche pour Isélia. Sur sa tempe, la balafre de pierre des dieux raillée par sa rebelle préférée brillait d'une teinte ardente. 

Tout près, les jambes allongées sur le sol humide du sous-bois, le dos calé contre un rocher bien lisse, Dusack déchira un morceau de viande de lièvre. Il mâcha la chair calcinée sans enthousiasme. En temps normal, une telle veillée l'aurait ravi, mais la tournure que prenait son périple le consternait. À ses côtés, recroquevillé sur un tas de luzerne au confort relatif, Pixx dormait, ou faisait semblant de dormir. Plus loin, leur cheval se reposait sur une litière de fougères. 

Le silence, à peine troublé par les craquements du bois, s'éternisa. Puis le hululement d'une chouette invisible dans les frondaisons de la forêt rompit la paix ambiante. Les bruissements d'ailes d'une chauve-souris affolée s'ensuivirent. L'aédelfien releva la tête et croisa le regard de son camarade. Les figures se rembrunirent davantage encore. Dusack cracha un os à terre puis éructa avec force et postillons. Il fourragea dans sa barbe de plusieurs jours déjà, avant d'entamer la discussion par une question aussi directe que spontanée :

— Ça dure depuis combien de temps, cette merde ? 

— Quoi ? rétorqua Zalma en feignant ne pas comprendre à quoi il faisait allusion. 

— Ces débâcles. Je suppose que La Gravelle n'est pas le premier bourg à tomber. Je sais bien que la situation n'est plus la même que par le passé. Mais tout de même. Ce n'est plus une guerre, de ce côté de Fracture. C'est une extermination.

— Depuis que le grand Dusack n'est plus dans nos rangs, nous éprouvons quelques difficultés à contenir l'ennemi, railla l'aédelfien comme à son habitude.

Pour seule réponse, son ami leva les yeux au ciel, l'air accablé. Zalma marqua une pause pour chercher ses mots puis reprit avec plus de sérieux :

— Tu te souviens ? À la grande époque. Il n'y avait plus de villages. Plus de dissensions entre l'est et l'ouest. Il n'y avait que des rebelles agissant main dans la main. C'était comme à l'aube du mouvement, disaient les anciens. Mais les choses ont changé. En plus de nos effectifs réduits, la cohésion n'est plus. Le témoignage d'Isélia est révélateur. Elle attendait des renforts de l'Épine depuis une éternité. Ils ne sont jamais venus. 

— Et les choses ont changé depuis que ? insista Dusack avec une pointe d'impatience. 

— Pourquoi veux-tu me le faire dire ? Pour pouvoir te morfondre sur tes prétendues erreurs passées comme tu sais si bien le faire ? 

D'un geste nonchalant, Dusack jeta quelques éclats ardents au sein du brasier. Le feu s'embrasa de plus belle en crépitant. Une odeur de viande rôtie se répandit alentour. 

— Affronter la réalité est une première étape vers ma rédemption. La rébellion est morte avec Ranks, hein ? Son absence pèse. Je le vois dans les regards des hommes. Aräck tente de reconstruire ce qu'il peut avec des ruines. En oubliant qu'il lui manque le principal. Les épaules nécessaires, le charisme et un vrai projet politique cohérent. 

— Ce n'est pas moi qui l'ai dit ! se défendit aussitôt Zalma en passant ses mains derrière sa nuque. 

— Mais c'est ce que tout le monde pense sans l'exprimer. Il veut mettre des bâtons dans les roues du roi. Il n'a que ça à la bouche. Il n'est même pas foutu de faire le nécessaire pour retrouver sa propre femme. Alors il va de soi qu'il n'a aucun plan pour l'avenir de la péninsule. Voilà la vérité. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant