Chemin du pont blanc, quelque part entre La Gravelle et l'Épine, le même jour. Crépuscule.
Sous les directives d'Isélia, les quatre fugitifs avaient d'abord feint une retraite plein nord afin de duper d'éventuels poursuivants, puis s'étaient rabattus le long de Fracture. S'avancer dans la Plaine Centrale représentait un risque immense tant les soldats y concentraient d'avant-postes, aussi la jeune femme avait-elle préféré raser les cryovolcans. De cette façon, ils progressaient avec la plus grande discrétion vers l'Épine. À flanc de montagne, les chemins étaient tortueux, malaisés, glissants, les ornières profondes s'y creusaient comme des ravins. Mais les dangers naturels restaient préférables aux épées et sortilèges de l'armée royale.
Ils chevauchèrent jusqu'au soir, refusant de s'arrêter malgré la fatigue et la faim. Puis vint un grand bruit de fracas. Une chute. Des jurons d'une indécence inouïe. Des lamentations. Et enfin, le hennissement plaintif de la bête qu'on laisse seule pour mourir.
*
— C'est pire qu'à notre départ, constata Dusack avec une grimace sévère. Il va crever. C'est vraiment tout ce que la rébellion a à disposition ?
— Il n'allait pas si mal hier encore, gronda Isélia. On se demande ce qu'il s'est passé, hein !
Allongée sur le côté, la monture maigrelette des deux jeunes hommes respirait avec difficulté. Son cuissot se gonflait de bulles, sa peau bouillonnait. On eût dit que sa patte entière menaçait d'exploser à tout instant. De ses doigts fins, la rebelle parcourut ses poils et découvrit plusieurs plaies purulentes, desquelles coulait une matière verdâtre d'une odeur nauséeuse. Le poison de Pixx se mêlait à la robe grise de la bête. Alors que ses phalanges se paraient d'étoiles blanches, la Céleste se tourna vers le concerné et lui adressa un regard accusateur.
— Il va falloir que tu apprennes pour de bon à...
Elle ne termina pas sa phrase. Sous les feux du soleil couchant, Pixx observait l'horizon comme s'il espérait voir un quelconque signe dans le ciel, une réponse aux questions qui l'agitaient. Il se tenait debout, de dos, face à un vaste lac bordant les premiers versants de Fracture, lui même entouré de hauts conifères au parfum sauvage. Immobile, il regardait son reflet sur l'eau claire.
Depuis sa mésaventure dans les Échardes et sa rencontre avec Caprice, ses vêtements jadis propres et neufs ressemblaient désormais à des haillons. Un pantalon devenu trop court car élimé, une vieille veste trouée et teinte de sang ainsi que des chaussures prêtes à fondre lui donnaient l'air d'un mendiant ou d'un vagabond. Au-delà de l'étreinte des ronces, son Sceau du poison n'avait fait qu'aggraver la situation. Des trous fumants parsemaient ses bottes de cuir. Il s'en échappait encore et toujours des toxines infectes, sans qu'il ne parvienne à les contenir ou les maîtriser. Malgré cette tenue pitoyable, son charme enfantin d'une grande douceur demeurait intact. Ses cheveux blonds ébouriffés par le vent brillaient de tout leur éclat.
Il secoua la tête, le visage livide. Conscient d'être responsable des souffrances de son cheval, il s'éloigna de plus belle pour fuir la discussion et trouva refuge au milieu de hautes herbes. Les hennissements paniqués de la bête résonnaient dans son crâne. Il venait peut-être de la tuer, sans même s'en rendre compte. Son Sceau ne se contentait pas de brûler la végétation derrière ses pas : il rongeait tout ce qui entrait en contact avec lui. Il n'allait plus tenir son secret très longtemps. Il le savait. D'autant plus qu'Isélia pouvait tout révéler à ses compagnons d'aventure quand bon lui semblait. D'ailleurs, il n'était même pas persuadé qu'elle ait tu la vérité intentionnellement. Peut-être pensait-elle que tout le groupe était déjà au fait des événements.
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Taïka - Les Brèches du Destin
خيال (فانتازيا)« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...