Souffrance - partie 1

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Abords de l'Épine, le même jour. Après-midi. 


Zalma frappa à la porte avec angoisse, les nerfs tendus. Il grinçait des dents, debout dans le vent, immobile. La bise fouettait son visage paré de pierres turquoise. Un frisson lui parcourut l'épine dorsale, tandis que ses yeux cherchaient le moindre indice qui lui apporterait une réponse. 

Il secoua nerveusement la tête, comme pour chasser un mauvais rêve. 

Sitôt son entrevue avec Aräck terminée, il n'avait pu s'empêcher de partir à la recherche de Dusack, en commençant par la petite chaumière où son ami avait prétendu vouloir s'arrêter. Il devait le retrouver. Il devait comprendre. Comprendre pourquoi il leur avait sciemment caché la vérité. Pourquoi il les avait laissés s'engouffrer dans l'Épine sans les avertir. 

La porte vermoulue s'ouvrit dans un grincement plaintif. Une grande femme maigre, boiteuse, presque chauve mais barbue, parut dans l'entrebâillement. D'un âge avancé, vêtue de hardes en putréfaction, elle n'inspirait que dégoût et pitié. Son visage ingrat, orné d'un nez crochu, bosselé, de verrues proéminentes et de deux gros yeux glauques, pareils à ceux d'un crapaud, aurait pu faire fuir une armée entière. 

— Qu'est-ce qu'y veut l'pierreu ? demanda-t-elle sans attendre, d'une voix grinçante, haut perchée et éraillée.

Zalma eut une seconde d'hésitation. Elle s'était encore enlaidie depuis leur dernière rencontre. Des relents d'herbes, de sueur rance et de vinasse s'échappèrent de la maisonnette, puissants, écœurants. Il se ressaisit puis se lança :

— Excuse-moi de te déranger, Poesia. Je cherche un ami, qui a dû passer par ici ce matin. Un grand brun, bien bâti, barbe de plusieurs jours, armure de cuir et épée au côté. Une vraie allure de guerrier, comme tu les aimes. Ça te dit quelque chose ? 

— Il est ben comme la gamine et sa bourrique ! s'emporta-t-elle en faisant de grands gestes. Z'avez qu'ça dans l'gavion ! L'guerrier ! L'guerrier qu'y m'disez ! J'l'ai pas vu moi, vot' guerrier ! Rien vu que j'vous dis ! 

Surpris qu'une autre personne soit apparemment déjà venue à la recherche de son ami, Zalma haussa un sourcil mais ne releva pas et préféra se contenter de cette réponse obscure. Elle ne lui aurait jamais menti, de toute façon. Bien que simple d'esprit, la vieille femme était toujours prête à rendre service aux rebelles. 

Dusack n'était jamais venu chez elle. Lui n'hésitait pas à mentir si cela servait ses intérêts. 

— Il a vu mon gamin, l'pierreu ? Y va ben ? Y va lui dire qu'y rentre avant l'souper, hein ?

L'aédelfien soupira avant d'esquisser un sourire forcé. La souillon, comme il aimait la surnommer dans ses pensées, avait la fâcheuse habitude de changer de sujet sans prévenir. 

— J'ai vu ton fils, oui. Il discutait le bout de gras avec Pixx, un de mes amis, plus tôt ce matin. Il va bien. Je lui dirai de rentrer chez vous. Merci, Poesia.

Après une quinte de toux grasse et un reniflement abominable, la vieillarde referma la porte sans s'embarrasser de la moindre formule de politesse. 

Zalma pivota sur ses talons et fit quelques pas en avant. Sans s'en rendre compte, il écrasa une petite ronce qui traînait au sol sans raison apparente, devant la porte de la chaumière. Il regarda vers Sanghrën, cité souvent déchirée entre les soldats royaux et les rebelles, à peine visible à l'horizon. Un calme presque irréel, annonciateur de l'orage à venir, semblait régner par-delà les fortifications de la ville. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant