Un petit gamin aux cheveux noirs sautillait entre les flaques de boue et les cailloux qui encombraient le chemin bordant la plage. Il arborait un sourire étincelant, fier d'avoir enfin le droit de participer seul à la fête de la Renaissance. Pour la première fois, ses parents lui avaient fait confiance. Il enjamba un pont de bois vétuste et s'approcha de la ville dans laquelle se tenaient les festivités.
Mais lorsqu'il pénétra dans la cité, il perdit son sourire. Quelque chose n'allait pas. La fête, qui avait débuté la veille, aurait dû animer la ville et la plonger dans une euphorie totale. Pourtant, le silence régnait en maître et créait une ambiance trop apaisante pour être réelle. Une odeur nauséabonde flottait dans l'air ; une odeur âcre et chaude, capable de retourner l'estomac du plus fier guerrier de la péninsule. L'odeur du sang et des tripes encore fumantes. L'odeur typique des lendemains de bataille. Une nuée de corbeaux décrivait des cercles au-dessus des maisons et renforçait ce sentiment angoissant. Ils croassaient tels des charognards appelés par le sang. Le gamin avança prudemment dans les allées sans vie, tout en scrutant les alentours. Le vacarme qu'il avait entendu la veille et les lumières et embrasements qu'il avait admirés depuis la fenêtre de sa chaumine ne correspondaient peut-être pas au début de la fête comme il l'avait naïvement pensé.
Bientôt il arriva sur la grande place de la ville. Il eut un haut-le-cœur brutal tout en poussant un cri de stupeur. Partout des corps gisaient. Ceux de guerriers, de fêtards, d'enfants, personne n'avait été épargné. Les protecteurs de la cité n'avaient rien pu faire face à une attaque qu'on devinait d'une violence inouïe. Leurs boucliers de bois en morceaux jonchaient le sol, leurs armes pulvérisées traînaient à côté de leurs corps éteints et les frêles tenues qui devaient leur servir d'armure ne ressemblaient plus qu'à des haillons de mendiants. Les habitants quant à eux étaient bien souvent sur le ventre, le dos déchiqueté par un coup de hache ou d'épée venu anéantir leurs espoirs de fuite. Ils recouvraient les corps déchirés d'enfants qu'ils avaient vainement tenté de protéger. Quelques survivants poussaient des gémissements étouffés comme s'ils suppliaient qu'on mette fin à leurs souffrances.
Il vacilla. Il n'avait jamais vu une telle scène de désolation. Des maux de crâne vrillèrent ses tempes, une vive douleur serra sa poitrine et sa respiration devint saccadée. Entre deux hoquets, il vomit son frugal repas du matin aux pieds d'un cadavre. Il essuya sa bouche et faillit s'excuser auprès du mort d'avoir osé salir ses bottes. Les larmes aux yeux, il tenta malgré tout de regarder autour de lui. Ses pleurs redoublaient chaque fois qu'il reconnaissait l'une des victimes. Il se rappelait bien de cette si gentille jeune fille, là-bas, qui aimait tant lui donner des friandises chaque fois qu'elle le voyait. Un peu plus loin, encore, ce vieillard si chaleureux, qui racontait des contes auxquels lui seul croyait, reposait désormais dans son sang, une hallebarde plantée dans son flanc. Dorénavant, il ne pourrait plus rien raconter. Des centaines, peut-être des milliers de vies venaient de s'évaporer.
Il se laissa tomber à genoux et frappa les dalles de pierre de son petit poing serré. Son sang souilla le sol déjà pourpre en de trop nombreux endroits. Il n'arrêta qu'au bout de plusieurs minutes, submergé par les larmes et les hoquets qui lui bloquaient la respiration.
Dans le lointain, un cri bestial déchira le silence. Un cri beaucoup trop puissant et caverneux pour venir des corbeaux. Il leva le nez pour essayer d'en trouver l'origine. Ses yeux s'écarquillèrent et ses lèvres se tordirent. Il n'avait pas encore vu toute la cruauté des assaillants. Des dizaines de corps étaient cloués sur les murs des maisons ; certains démembrés, lacérés, d'autres décapités, mutilés. Le pire restait ceux qui n'avaient aucune blessure. Deux énormes clous noirs étaient simplement enfoncés dans leurs épaules. Ils avaient dû mourir dans d'atroces souffrances, en voyant les leurs se faire massacrer. Pris de tremblements incontrôlés, il accourut vers un corps cloué sur une maison, en hurlant un mot indescriptible au milieu de ses spasmes. Il ne remarqua pas que tout autour de lui, les murs des maisons étaient entaillés par des coups de griffes démesurés. Une bête cauchemardesque s'était jointe à l'armée venue ravager la ville. "Monseigneur Shura ?". Il s'agrippa de toutes ses forces aux jambes de la personne attachée au mur de la maison et continua de hurler de plus belle. "Monseigneur Shura ?". Il s'époumona jusqu'à ce que la tête lui tourne. Jusqu'à ce qu'il s'écroule, sans connaissance.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...