Percée d'Alacanth, le lendemain. Matinée.
Le groupe chevauchait de nouveau depuis l'aube dans un silence maussade. Le fracas des sabots sur le sol jonché de cailloux et de pommes de pins se mêlait au gazouillis des grimpeurs beiges (1). Une brise glaciale, typique des environs de Fracture, portait l'odeur du printemps tandis qu'à leur côté les arbres se balançaient, bruissaient, craquaient. Sous les ordres d'Isélia, les montures avançaient au pas. Les cavaliers, eux, lançaient des regards anxieux de tout côté. L'Épine approchait. Zalma et Isélia, les deux seuls véritables rebelles de leur escouade, devaient s'assurer d'être reconnus afin de ne pas éveiller les soupçons des sentinelles. Même si aucune âme n'était visible aux abords de la route, ils savaient très bien que les guetteurs pullulaient autour de la Percée d'Alacanth.
La nuit avait apaisé les nerfs, mais une certaine tension continuait de régner entre les deux amis. Ils n'avaient échangé ni regard ni parole depuis le début de la matinée. Il n'existait que peu de sujets de discordes entre Dusack et l'aédelfien, mais Elfinéa faisait partie des plus sensibles. Sans preuve tangible, chacun s'en remettait à ses théories personnelles, basées sur des ressentis plutôt que des réalités irrécusables. Des théories opposées qui créaient entre eux un abîme de glace infranchissable.
Bientôt la forêt fit place à des champs nappés de givre, à des vergers en fleurs malgré le rude climat et à des pâturages épars. La Plaine Centrale se montrait dans tout l'éclat de sa splendeur matinale. Le soleil y lançait ses feux les plus ardents. Nulle menace ne semblait poindre, comme si la guerre se taisait entre deux batailles pour mieux déconcerter les hommes, nourrir leurs peurs et leurs angoisses à travers une illusion de sérénité.
De l'autre côté du chemin, la montagne s'ouvrait sur la Percée d'Alacanth, énorme trouée entre les parois rocheuses de Fracture, gorge encaissée aux versants abrupts. Protégé par un mur de ronces couvertes de neige, aussi haut que les arbres de la plaine, l'endroit paraissait hostile à toute forme de vie ; à l'exception de quelques petits animaux qui se déplaçaient çà et là sous la muraille d'aiguillons. Malgré l'agressivité végétale, quelque part au milieu de la percée se cachait la base rebelle. L'Épine.
En tant que seul vrai passage liant l'est à l'ouest de la péninsule, les insurgés avaient décidé d'investir cette étroite gorge de nombreuses années auparavant, afin d'empêcher les soldats royaux de rejoindre leur terre. Les ronces - presque comparables à des troncs tant elles étaient massives, à en faire pâlir celles de Caprice - pouvaient dissuader les plus couards d'entreprendre le périple, mais les affronter restait la solution la plus simple et la plus sûre. Les autres chemins potentiels impliquaient en effet l'ascension de cryovolcans ravageurs ou la traversée d'une forêt enragée dont la plupart ne revenaient pas. Aussi la Percée d'Alacanth était-elle devenue une place stratégique disputée. Les escarmouches y étaient fréquentes, mais jusqu'alors, aucune attaque d'envergure n'avait été entreprise par le roi.
À la surprise de ses compagnons, Dusack sauta soudain à bas de son cheval, laissant Pixx dans un embarras évident. Seul sur le dos de la bête, il ne put que constater, impuissant, qu'elle avançait au hasard sans qu'il ne maîtrise le moindre de ses mouvements.
— Je vous laisse ici, lança le guerrier.
Isélia arrêta Utopie d'une légère traction sur les rênes. L'animal renâcla de grands nuages de buée. Sa robe sombre se démarquait dans un paysage qui devenait de plus en plus blanc.
— Pardon ? s'étonna l'aédelfien, sévère. Ne fais pas l'enfant. Les rebelles t'insupportent à ce point ? C'est l'affaire d'une journée. Le temps que mon épaule se rétablisse pour de bon et que je négocie l'obtention de deux chevaux pour rallier Aredhel au plus vite. Si tout se passe bien, nous pourrons repartir demain à l'aube.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...