Abords de la tour d'Ynula, trois jours plus tard. Matinée. (1)
Loin aux confins septentrionaux de la péninsule existait un lieu empreint de mysticisme où nul visiteur ne s'aventurait jamais, bien au-delà de la Plaine Centrale, d'Aredhel ou des terres dévastées jadis par Alacanth. C'était un lieu sans nom oublié par les siècles, préservé de la folie des hommes, prenant la forme d'une vallée côtière inaccessible, recouverte d'un manteau de givre. Une enclave libre, isolée derrière les sommets escarpés de Neuf Etoiles, où même les plus braves soldats du roi ne se risquaient pas. Le vent y charriait des odeurs d'autrefois, la glace figeait les étendues d'eau dormante, des relents de magie noire flottaient dans l'air cristallin. Et partout d'anciennes statues de marbre blanc plus grandes que nature semblaient protéger le monde. Enveloppées dans une brume éternelle, elles figuraient nombre de héros des anciens jours. Ici, une fille au visage enfantin jetait des éclairs démesurés, tout en tranchant le vent de son poignard effilé. À côté d'elle, un mage de guerre sombre et décidé lançait des orbes de feu au hasard. Plus loin encore, une femme à l'air sévère, bras croisés sur la poitrine, toisait son assistance gelée d'un regard mauvais. Ces statues formaient un groupe représentant une scène de bataille ou tout autre conflit contre un ennemi invisible. Comme si l'on avait figé pour l'éternité le combat de ces guerriers d'antan, désormais oubliés de tous.
Il régnait sur ces terres un silence de sépulcre, profond, presque palpable. Pourtant, les rumeurs les plus folles disaient que de vieux sorciers vivaient là, dans l'ombre depuis toujours. Des sorciers capables de résister aux lois et d'échapper aux peines, d'après les dires des paysans vivant de l'autre côté de la montagne. Ils aimaient raconter à qui voulait l'entendre que d'étranges phénomènes se manifestaient parfois au-dessus de cette vallée de légende. Il était question de nuages de gaz multicolores qui s'agitaient dans un ciel teinté de lueurs violacées. Ou encore de volées de corbeaux qui paraissaient et disparaissaient comme des présages sinistres, reliés entre eux par des éclairs crépitants. Mais les rumeurs ne s'arrêtaient pas là. Chaque jour, un nouveau récit encore plus fantastique venait se greffer aux précédents. Ainsi l'on disait parfois que ces prétendus sorciers malfaisants avaient vaincu le temps à grand renfort de magies interdites, ou même, selon les plus crédules, qu'ils pouvaient manipuler le destin des hommes à leur guise. Autant d'histoires farfelues qui faisaient le bonheur des enfants lorsqu'ils les écoutaient au coin d'un feu de cheminée, les yeux agrandis par un mélange de fascination et de frayeur.
On disait beaucoup de choses. Il existait bientôt plus de légendes sur cet endroit mythique que sur Taïka lui-même. Des légendes déformées jusqu'à l'absurde, mais devenues tout-à-fait populaires tant elles étaient ressassées lors des veillées.
Peu à peu, les ragots s'étaient mués en accusations. Les pauvres d'esprit imaginaient déjà quelque conspiration fomentée par le roi ou ses Paladins. Là-bas, à l'abri des regards, derrière les sommets déchiquetés de Neuf Etoiles, les puissants devaient mener d'obscures expériences aux desseins inavouables. La tradition rapportait même que certains prisonniers de guerre y étaient emmenés pour servir de cobayes à ces sorciers dénués de toute morale. Et comme nul n'était assez brave pour aller vérifier ce qu'il se tramait par-delà la montagne, les détracteurs du roi en profitaient pour monter des théories complotistes plus folles les unes que les autres. Là-bas, près de la tour d'Ynula, l'Histoire du monde devait se jouer sous l'égide d'un pouvoir habitué à fermer les yeux sur les pratiques les plus cruelles. Là-bas, à la prison d'Ynula.
Près de la côte s'élevait en effet une tour aux multiples étages, carrée par le bas et ronde par le haut, connue depuis toujours sous le nom de Tour d'Ynula. Ses pierres blanches taillées avec art et précision se reflétaient dans l'océan de Grenat, si bien que les vagues rageuses qui battaient les falaises alentour renvoyaient un scintillement argenté. Un immense escalier de marbre gris, ponctué de vasques gelées, conduisait à la porte d'entrée de la tour, nichée sous un arc de pierre surbaissé. Plus haut, ses murs étaient fortifiés de créneaux et de parapets en ruines. En ruines étonnamment majestueuses et bien conservées, qui témoignaient de la résistance que cette forteresse avait dû opposer aux ennemis d'autrefois.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasía« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...