Des gouttes tombaient du plafond par intermittence et formaient une flaque immonde au sol, mélange de boue, sang, cendres et excréments. Son doux parfum méphitique embaumait l'air et chatouillait les narines d'Ilfenn, repliée sur elle-même dans un coin de sa cellule. Elle toussa pour tenter de dégager ses poumons. Une odeur cadavéreuse l'entourait, mêlée à une saveur d'urine rance, chaude et persistante dans la gorge ; une véritable invitation au vomissement. La plus parfaite odeur du désespoir. Les murs autour d'elle luisaient d'humidité alors que sur la terre gisait une paillasse moisie, gluante, qui grouillait de poux et de cafards. Cette vermine grasse, qui s'accrochait aussi fermement que des sangsues affamées, infestait déjà ses vêtements. La petite blonde avait tenté pendant des heures, lui semblait-il, d'épouiller son pantalon, en vain.
Elle secoua la tête pour s'éclaircir les idées, si bien que des parasites qui couraient dans ses cheveux furent projetés à travers la cellule. Les paupières gonflées et à demi collées par la fatigue de sa trop courte nuit, elle se leva et s'approcha de la porte de fer. Dans un geste résigné, elle referma ses mains sur les barreaux. Les lueurs dansantes des torches accrochées au mur du couloir se reflétèrent sur son surcot crème. La détresse se lisait dans ses prunelles et irradiait dans tout son corps. Son visage, sale comme à son habitude, avait perdu le peu de couleur qu'il possédait ; sa fraîcheur n'était plus. Les roses de son teint s'étaient fanées, emportant avec elles toute la malice qui l'animait d'ordinaire.
Un gros rat sombre passa devant la grille de son étroit cachot, couina pour se targuer de sa liberté, puis détala et grimpa le long d'une poutre inclinée. Des cris et râles en provenance des cellules avoisinantes résonnèrent. Des cris lugubres, comme seule la plus terrible des douleurs peut arracher à une poitrine humaine. La respiration d'Ilfenn s'accéléra et la pression de son sang bourdonna dans ses oreilles.
Elle avait l'habitude d'évoluer dans des endroits exigus, bourbeux, parfois sordides ou nauséabonds, mais jamais elle n'avait vécu une telle situation. Pour la première fois, elle était prise au piège, seule, à la merci d'hommes peu scrupuleux. Elle savait pertinemment que les séjours temporaires dans les geôles d'Aredhel n'existaient pas, que quiconque se faisait capturer sans droit de séjour dans la ville-haute mourait sur place. Et sa qualité de rebelle ne faisait qu'aggraver un cas déjà indéfendable, à supposer qu'elle eût un quelconque droit de défense. La seule inconnue résidait dans le type de supplices qu'on lui infligerait avant de l'autoriser à mourir. D'ignobles visions de torture, de brûlures au fer rouge, de pinces qui arrachent les entrailles, de famine, d'humiliation et de viol en réunion assaillirent son esprit fragilisé.
Une larme traça un sillon clair sur sa joue répugnante et se nicha dans le creux de son cou. Elle regrettait amèrement son insouciance et comprenait désormais les réprimandes que sa cheffe lui assénait à chacune de ses visites. Elle s'était toujours convaincue qu'en cas de problème, elle pourrait se jouer des gardes en usant de mensonges et de subterfuges. Prétendre résider dans la ville-haute ou se cacher derrière une parenté fictive avec Nellea lui semblaient être des échappatoires simples mais infaillibles. Mais cette fois, elle n'avait pas eu l'occasion de se justifier. Les deux soldats qui l'avaient enfermée paraissaient convaincus de sa culpabilité, sans même lui avoir posé la moindre question. Comme s'ils avaient pu lire derrière le masque et deviner ses intentions.
Le silence qu'avait gardé Nellea lors de leur capture révélait quant à lui une preuve de faiblesse et de soumission, indigne de son rang de responsable. Ilfenn se demanda d'ailleurs si sa cheffe n'avait pas fait acte de trahison et collaboré avec l'ennemi, tant elle s'était laissée faire avec une docilité déconcertante. Une attitude qui contrastait avec tous les discours qu'elle aimait lancer à la gloire de son mouvement. Les deux femmes ayant rapidement été séparées, elle ignorait où elle se trouvait à l'heure actuelle et de lancinantes inquiétudes l'obsédaient. Elle craignait que sa négligence ne nuise aux rebelles d'Aredhel, ou pire encore, à la rébellion tout entière.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...