Aredhel ou le silence du roi - partie 4

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Une ombre bougea dans une étroite cavité du château. Une silhouette féminine imperceptible pesta à demi-mots, puis joua de son piochon pour déplacer quelques petits rochers, en essayant tant bien que mal de faire le moins de bruit possible. Autour d'elle, la pénombre et le calme régnaient. Il n'y avait aucun bruit, hormis quelques rares échanges inaudibles au loin, entre soldats. 

« Concentre-toi, Ilfenn... » se dit-elle à elle-même.

Divers souterrains, passages secrets oubliés depuis des décennies et autres catacombes à l'abandon créaient un enchevêtrement de galeries cachées, pour certaines parallèles aux pièces du château. Les cavités dans les murs, parfois volontairement laissées par les ouvriers, parfois creusées après coup, parfois créées par le temps, l'érosion ou les violentes batailles qui avaient secouées la forteresse, venaient achever ce véritable labyrinthe ténébreux. Si quelques tunnels étaient encore entretenus, notamment un immense destiné à l'évacuation de la famille royale en cas d'attaque d'une force ennemie, une large partie d'entre eux étaient abandonnés depuis longtemps. Le château regorgeait d'excavations inconnues du plus grand nombre. 

Ironiquement, il avait beau afficher, d'extérieur, une défense de fer, avec des dizaines, ou peut-être même des centaines de soldats en patrouille constante, une personne renseignée sur les fondations et dédales de la forteresse pouvait y entrer sans se faire repérer. Voire même, avec un peu de témérité, y semer le désordre.

Mais les intentions d'Ilfenn étaient ailleurs. Elle distingua soudain une bribe de discussion, assez proche d'elle : « ... grotte proche de la Glacière, en toute logique. Mais ce... » ; puis revint le silence. Elle reconnut sans mal la voix qu'elle venait d'entendre, afficha un large sourire et prit soudain confiance. « Je te tiens, Solafein. » pensa-t-elle.

Elle se glissa entre deux énormes pierres soutenant un bâtiment quelconque et se hissa sur une plateforme rocailleuse instable. Elle sortit une vieille carte usée de sa poche et tenta de la déchiffrer pour estimer où elle se trouvait, éclairée par un mince filet de lumière qui filtrait à travers le plafond rocheux délabré. Ses courts cheveux blonds s'illuminèrent un instant malgré quantité de poussière et toiles d'araignées qui les submergeaient. Elle essuya son front suintant de sa manche sale. Sa transpiration mêlée à la terre qu'elle avait sur le visage créaient un mélange peu attrayant, mais bien d'autres soucis la préoccupaient. Elle avait beau visiter ces lieux régulièrement, la multitude d'embranchements et l'obscurité presque permanente ne l'aidaient pas à se repérer.

Elle tapota du doigt un bâtiment griffonné à la hâte sur son parchemin. « La Crécerelle, ce serait donc le quartier des Paladins... Intéressant... » chuchota-t-elle pour elle-même.

Elle reprit son chemin, en avançant à tâtons car elle se trouvait désormais dans une portion labyrinthique qu'elle ne connaissait pas. Elle passa sous un ancien escalier pierreux démoli, franchit plusieurs galeries quasi obstruées et arriva dans un couloir tortueux qui n'avait de cesse de rétrécir et s'assombrir au fil de son avancée ; comme si elle plongeait dans les ténèbres elles-mêmes. Elle pouvait remercier sa petite taille : un homme de carrure moyenne n'aurait jamais pu s'engouffrer dans de si étroits passages. Lorsque ses épaules se mirent à frotter contre les cloisons de plus en plus serrées, elle continua sa progression de profil. Elle s'érafla coudes et genoux à plusieurs reprises sur le grès mal taillé des murs, mais poursuivit ses efforts, dans la pénombre la plus totale, sans y prêter une grande attention. Ce qu'elle venait chercher en ce lieu était bien plus important à ses yeux que quelques écorchures. Le tunnel se resserra à nouveau sur elle. Un rat détala dans ses pieds en couinant, pendant qu'un insecte curieux lui courrait dans le dos. Elle vacilla un instant et se demanda si la cavité qu'elle empruntait avait vraiment une issue. Mais elle entendit soudain une voix salvatrice, plus forte que précédemment. Son acharnement allait enfin payer. En prenant soin de ne pas faire de bruit, elle colla son oreille au mur, ce qui ne lui demanda guère d'effort vu l'exiguïté de sa galerie, et tenta d'écouter la discussion qui se tenait dans la pièce adjacente.

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant