Dehors, des cris fusèrent, accompagnés d'une salve de sons indistincts et confus.
Pixx, piqué par une vive curiosité, se leva avec peine et s'approcha de la fenêtre pour mieux observer la scène qui se déroulait aux alentours. Après trois pas, il se raidit d'un coup et se retourna vers son lit, éberlué. Le simple fait de se mettre debout avait chassé les vibrations qui courraient dans ses veines l'instant précédent. Il se sentait soudain beaucoup mieux, comme s'il avait récupéré ses maigres forces habituelles. Perplexe, il regarda ses mains et constata que ses tremblements s'atténuaient. De la même façon, sa respiration reprenait un rythme plus lent et régulier. La magie miraculeuse de la Céleste dépassait tout ce qu'il pouvait imaginer.
Apaisé par cette agréable sensation, il s'appuya sur le rebord de la fenêtre et sortit le nez à l'extérieur. Il put ainsi découvrir des maisons dans un état de délabrement encore plus effrayant que ce qu'il avait cru discerner. Des pans de mur entiers manquaient, certaines chaumières avaient brûlé alors que d'autres avaient été éventrées par les tirs d'une machine de guerre. Non loin, perché sur une petite butte, un moulin aux ailes brisées et couvertes de mousse surplombait toute la contrée. Sa triste tour de pierre, en forme de cône pointu, menaçait de s'effondrer sous son propre poids. Seul le bavardage rapide des rouge-queues noirs posés sur son toit égayait quelque peu ses piteux vestiges. Un peu plus à l'ouest, des béliers erraient, indolents, et cherchaient de quoi se nourrir dans des champs en friche. Certains poussaient des bêlements désespérés, dans l'indifférence générale. Il ne restait désormais que ruines et cendres, là où devaient foisonner jadis le blé, l'orge, l'avoine et les courges. On eût dit que le bourg et ses abords avaient été assiégés par un détachement de l'armée royale quelques jours auparavant. L'endroit ressemblait à un champ de bataille auquel il ne manquait que des cadavres et des corbeaux pour picorer leurs chairs.
Cette vision lui rappela son village natal, morne et agonisant. Bien que beaucoup plus éloigné du front de guerre, Selm renvoyait la même image, et ne semblait survivre que grâce aux derniers résistants qui refusaient de se courber sous la Justice Noire.
Même s'il n'était guère au fait de la situation de son royaume, Pixx avait tout de même entendu des histoires au sujet de la Plaine Centrale, théâtre de fréquentes embuscades et attaques entre les rebelles et les soldats du roi. Ici, les épées sifflaient dans l'air, les flèches transperçaient le fer des armures les plus légères, les marteaux écrasaient les casques et les crânes, et les relents de magie flottaient sans discontinuer dans des nuages de vapeur et de fumée. Les rebelles cherchaient à étendre leur zone d'influence, à s'assurer le contrôle de points stratégiques et à éroder les forces de l'adversaire en lui infligeant des pertes à un rythme lent mais constant. Chaque bataille victorieuse leur accordait de précieux points politiques. Chaque escarmouche heureuse leur permettait de recruter de nouveaux partisans, tout en impressionnant l'ennemi et en brisant son moral.
Mais les triomphes des insurgés devenaient rares. À en juger par l'état du village, on pouvait deviner que l'affrontement n'avait pas tourné en leur faveur.
Comme tout un chacun le savait, l'armée royale disposait d'un arsenal d'exception et jouissait d'une organisation exemplaire. Elle aurait pu anéantir les contestataires d'un claquement de doigts si telle était sa volonté.
On racontait qu'après une dure répression à la naissance du mouvement, les soldats s'étaient soudain contentés de refréner la progression rebelle et de se défendre en cas d'assaut. Afin de limiter les effusions de sang et de ne pas sombrer dans une guerre civile désastreuse, disaient leurs plus naïfs sympathisants. Une étrange attitude, qui durait depuis de nombreuses années sans évolution notable, et qui faisait encore moins sens quand on prenait en compte l'absence totale de discussions ou négociations entre les deux partis. La péninsule s'engluait dans un état de tension permanent, où chacun campait sur ses positions sans jamais en débattre. La moindre étincelle de révolte pouvait exciter un embrasement général.
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Taïka - Les Brèches du Destin
Fantasy« Elles m'ont dit que j'avais de la chance. Que j'étais différente. Que je pouvais changer le cours de l'histoire. Que je portais l'espoir en moi. Je suis censée les croire sur parole, accepter mon destin. Mon avis ne compte pas. Je ne devrais même...