Le serveur cerné aux cheveux bruns, coiffés proprement avec une raie sur le côté, revint pour prendre notre commande. Nous n'avions même pas encore regardé la carte bien que celle-ci se trouvât entre nos mains. Victoria choisit au hasard le menu du jour pour se débarrasser au plus vite du jeune homme et je fis de même afin de pouvoir revenir à notre conversation, en espérant que mon plat ne soit pas trop mauvais. Le serveur repartit d'un pas lent, sans aucun dynamisme. Servir des gens issus d'une classe favorisée et de plus, exigeants, tout au long de la journée, n'avait pas l'air de le ravir plus que ça.
— Julio, William et Faïz sont-ils proches ? demandai-je à Victoria.
Elle fronça les sourcils et leva les yeux en l'air.
— Julio et Faïz ont été très proches, mais depuis deux ans, ces deux-là s'entendent moins bien. Faïz a rencontré Rachelle et Julio n'a jamais vu cette relation d'un bon œil. Il aurait préféré que Faïz se concentre uniquement sur l'accomplissement de sa mission.
— Et toi ? Tu en penses quoi ?
Victoria eut l'air surprise par ma question, et ne put s'empêcher d'étouffer un petit rire. Elle secoua la tête avant de me répondre :
— C'est bien la première fois qu'on me le demande. Sincèrement, je pense que Rachelle est arrivée au bon moment dans la vie de mon frère. À vrai dire, je ne sais pas où il en serait aujourd'hui s'il ne l'avait pas rencontrée. Tu sais, il ressentait une telle colère à cette période. Avec le don qu'il possède, partir dans la mauvaise direction aurait été fatale pour lui et pour bon nombre d'autres personnes. Julio savait que tu arriverais un jour et il tenait à ce que la prophétie se réalise en tout point. Vous êtes des âmes sœurs et pour lui ça ne peut être autrement.
— Le Callis ne fait que nous guider, mais chacun de nous peut changer l'histoire.
— Oui, c'est vrai, on a tous chacun notre libre arbitre, rétorqua Victoria.
Nos cocktails et nos plats chaud arrivèrent à notre table. Les Saint-Jacques accompagnées d'un coulis de poireaux ravivèrent ma faim.
— Alors qui est Clarisse ?
Je pris un ton amusé pour changer de conversation. Les yeux de Victoria se mirent à briller tandis que ses joues rosirent légèrement. Son sourire jusqu'aux oreilles en disait long.
— Il n'y a pas de Clarisse.
Non sans blague !
— C'est un ami, Zoé. Ne me regarde pas comme ça !
Je penchai légèrement ma tête sur le côté comme le faisait cette inspectrice dans la série « esprit criminel » lorsqu'elle interrogeait les coupables. Cette méthode parut marcher.
— Ok, j'aimerais que ça soit plus qu'un ami, finit-elle par avouer.
— Son prénom ?
— Jonathan, il a dix-sept ans. On s'est rencontrés en cours de littérature. Il était là pour donner des conseils à notre section. Pour l'instant on apprend juste à se connaître.
— Quelqu'un d'autre est au courant ?
— Oui, ma mère et... toi. Rien d'officiel. On ne sait pas encore vraiment où tout ça va nous mener.
Je pris une gorgée de mon cocktail de fruits, le plat était tout simplement un délice.
— Pourquoi n'en parles-tu pas à Faïz ? Tu as peur de sa réaction ?
— Mon frère est très protecteur comme tu as déjà pu le remarquer.
— Oh oui, soupirai-je en exagérant.
Le visage de Victoria se referma d'un coup, elle devint soudain très pensive. À quoi pouvait-elle bien songer ?
— Il s'est déjà passé quelque chose de grave à propos de Faïz c'est ça ? devinai-je.
— C'était il y a un peu plus d'un an. Remy Ogres, un déséquilibré, m'a harcelée durant des mois. Il m'a traquée, envoyé des dizaines de courriers, m'appelait sans cesse. Sur le coup, je n'ai rien dit à personne, il y avait déjà assez de soucis comme ça dans ma famille et je pensais sincèrement que tout cela se calmerait tout seul. Un soir...
Victoria s'arrêta un moment, me parler de cet événement éprouvant lui faisait revivre un épisode difficile de sa vie. Sur la table, je posai ma main sur la sienne en signe de réconfort.
— Ce soir-là, je ne voulais pas rentrer chez moi, car je savais qu'il n'y avait personne à la villa, seulement, j'avais besoin d'affaires de rechange pour dormir chez une amie. Après tout, c'était l'affaire de quelques minutes. La mère de ma copine m'attendait dehors, dans sa voiture, le temps que je réunisse mes affaires. Mais tout ne s'est pas passé comme prévu. Quand j'ai ouvert la porte de ma chambre, il m'attendait là, dans le noir, un couteau de boucher à la main. J'ai couru le plus vite possible en dehors de la pièce pour lui échapper...
Les larmes lui montèrent aux yeux. Je tenais toujours sa main dans la mienne, une boule d'angoisse grandit dans ma gorge.
— Victoria, tu n'es pas obligée de me raconter toute l'histoire, c'est trop dur pour toi.
— Je veux que tu comprennes les choses Zoé. Faïz est revenu à temps, il avait oublié de récupérer des papiers importants à la villa. Quand il a découvert la scène qui se déroulait à l'étage, il est devenu incontrôlable. Seigneur, il l'aurait tué. Mon agresseur était impossible à identifier lorsque la police est arrivée sur place tellement mon frère s'était acharné dessus. Le tribunal a quand même condamné Faïz à deux ans de prison avec sursis tandis que l'autre dingue, à quinze ans de prison ferme avec suivi et mise à l'épreuve. Voilà pourquoi il est si protecteur. Je préfère ne pas l'affoler pour le moment à propos de ma relation avec Jonathan.
— Je comprends mieux son attitude maintenant, me murmurai-je à moi-même, et ton agresseur ? A-t-il expliqué pourquoi il s'en était pris à toi ?
— Pas vraiment, Ogres souffrirait de schizophrénie aiguë. Il disait obéir à des voix dans sa tête. Avec le recul, je pense que ça aurait pu être n'importe qui à ma place. C'est comme si tout ça s'était passé hier quand j'y repense, les détails restent ancrés dans ma mémoire. Cette odeur de sueur, ses paroles, son regard empli de folie et de fureur.
Le serveur revint débarrasser nos plats et nous proposa la carte des desserts. Je commandai un café tandis que Victoria optait pour une coupe de glace.
— La glace, ça réconforte toujours, me dit-elle en m'adressant un clin d'œil.
Je lui souris un peu tristement, souhaitant au plus profond de moi qu'elle puisse un jour effacer ce douloureux drame de sa mémoire. Victoria représentait pour moi la paix avec ces instants si paisibles au milieu d'un monde qui semblait s'écrouler tout autour de moi. Mon portable se mit à vibrer, j'avais un message d'un numéro que je ne connaissais pas. Je le consultai aussitôt.
« Bonjour Zoé, je pense que tu as beaucoup à faire aujourd'hui. Je propose que l'on se voie de nouveau ce soir, si tu as du temps, pour évoquer toutes les questions qui te passent par la tête. William »
Comment avait-il bien pu obtenir mon numéro ? J'étais portant sûre de ne lui avoir rien donné.
— Tout va bien ? m'interrogea Victoria visiblement inquiète.
— Oui, c'est juste à propos de ce soir, l'organisation.
Je ne voulus pas m'étaler sur le sujet, car je comptai bien remettre à plus tard ce rendez-vous. En effet, j'avais l'intention de prendre un peu de recul sur tout ça, le temps d'une soirée.
« Ce soir je suis avec des amis sur la plage, on m'attend de pied ferme. Comment as-tu eu mon numéro ? »
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Dark Faïz : Tout héros a sa légende [ Terminé ]
RomanceUne seule décision peut-elle changer le cours de toute une vie ? Suivez l'épopée d'un héros que vous allez aimer détester. Alors que la mort de sa mère la hante, Zoé, dix-huit ans, décide de s'installer à Los Angeles pour continuer ses études. Certa...